The Big Whale : Beaucoup de gens ne connaissent pas forcément Axie Infinity. Pourriez-vous expliquer ce que c’est ?
Aleksander Larsen Leonard : Axie Infinity est un jeu blockchain dans lequel vous affrontez les autres utilisateurs avec des petits monstres (qui ressemblent à des Pokemon 😺, ndlr).
Ce sont des NFTs que vous faites évoluer en les faisant combattre et qui peuvent se reproduire. Dès que vous gagnez un combat, vous gagnez de l’argent sous forme de jetons. C’est le principe du play-to-earn (jouer pour gagner).
Il y a un an, on ne parlait que d’Axie Infinity, de la frénésie autour du jeu, et depuis plus grand chose… Que s’est-il passé ?
L’écosystème est en train de mûrir, ce qui est une très bonne chose. Avec la baisse des marchés, nous sommes dans une phase où il faut davantage travailler sur le produit et sur notre communauté, le noyau dur.
Certains se sont intéressés à Axie Infinity pour de mauvaises raisons. Ils étaient là pour la dimension spéculative. Avec la baisse des marchés, ils sont partis.
Est-ce une bonne chose ?
Je ne sais pas si c’est une bonne chose, mais ce qui est sûr, c’est que nous voulons faire un produit pour des gens qui croient en notre projet, à notre vision long terme.
Quelle est cette vision justement ?
Le Web3 va permettre de décentraliser les jeux vidéo 🎮. Les joueurs seront propriétaires de tout ce qui les compose.
Comment va Axie Infinity ?
Nous avons à peu près 200.000 joueurs actifs par mois actuellement, ce qui est plutôt une bonne chose, même si nous en avons beaucoup perdu depuis un an. Pendant le top des marchés, nous étions à 3 millions, ce qui était assez énorme !
Au-delà de la baisse des marchés, est-ce que le méga piratage (173.000 ethers, soit 600 millions de dollars au moment des faits) que vous avez subi en 2022 n’a pas aussi joué ?
Honnêtement, ça n’a pas été simple. C’est moi qui ai géré l’affaire, donc je sais à quel point cela a été dur, mais je suis aussi très content de la manière avec laquelle nous avons géré la situation : nous avons remboursé tous les utilisateurs avec notre argent. Nous avons aussi réglé le problème du bridge 🌉 (lire notre dossier sur le sujet) et tout remis à plat. Et puis vous savez, il faut aller de l’avant. Le plus important c’est que nous avons gardé la confiance des utilisateurs.
Quel est votre point de vue au sujet de la “GameFi” ?
Je ne suis pas un grand fan de cette appellation. Elle symbolise la finance gamifiée, ce qui est beaucoup trop réducteur. Pour moi, les jeux vidéo sur blockchain évoquent la propriété des objets numériques, l’identité décentralisée, c’est-à-dire un univers où le joueur est au centre. Et c’est ce que nous voulons faire avec Axie.
Comment allez-vous y parvenir ?
Cela va prendre du temps parce qu’il y a de nombreuses questions en termes de régulation, de distribution…
C’est-à-dire ?
Sur la distribution, il y a notamment la question de l’App Store d’Apple qui est beaucoup trop contraignant lorsque vous utilisez des NFTs ; ils vous disent que vous ne pouvez pas faire ceci, pas faire cela, et aussi cela. Cette approche centralisée est contraire à l’esprit du Web3. Si vous ne pouvez pas posséder les choses, faire ce que vous voulez, alors vous vendez des jeux Web2. 🫠
Comment pensez-vous qu’Apple pourrait adopter une autre approche ?
Ils ne le feront pas parce que ce n’est pas dans leur intérêt. Le mouvement viendra de la base, c’est-à-dire des utilisateurs. Ce sont les utilisateurs qui vont forcer Apple et les autres géants du gaming à assouplir leur politique et à passer au Web3.
Vous vivez en Norvège, mais une grande partie de vos équipes est au Vietnam et à Singapour. Comment le marché est-il là-bas ?
Ce que j’aime avec le Vietnam, c’est qu’ils sont très ouverts aux cryptos. C’est très différent de l’Europe où il y a une demande qui est davantage spéculative. En Asie, l’approche est plus utilitaire, notamment sur les NFTs, parce qu’il y a une culture très tournée vers les technologies et leurs usages.
L’autre point fort de l’Asie c’est qu’il y a beaucoup de capitaux. Vous avez le Japon, la Corée du Sud, évidemment Singapour et également Hong Kong, même si la situation n’est pas simple.
Vous avez développé votre propre blockchain, Ronin, qui fonctionne en parallèle d’Ethereum. Pour quelle raison ?
Depuis le début, nous voyons Ronin comme une blockchain additionnelle à Ethereum (une sidechain, ndlr). Aujourd’hui nous n’utilisons pas Ethereum pour notre sécurité, nous avons la nôtre, un peu comme Avalanche. Nous ne voulons pas être impactés si Ethereum a des difficultés.
Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez ?
Nous travaillons sur trois axes. Il y a d’abord Axie, qui est vraiment le vaisseau mère de la société. C’est le jeu principal et celui qui a le plus d’audience. Nous allons travailler pour faire en sorte que le nombre de joueurs augmente et retrouve son niveau d'il y a un an. Et puis il y a aussi les autres jeux, comme Homeland, sur lesquels nous poursuivons les efforts.
Le deuxième axe c’est notre blockchain, Ronin, sur laquelle je passe beaucoup de temps. Le troisième est de faire en sorte que des partenaires utilisent tous les outils que nous avons développés autour de Ronin. Ils peuvent créer un jeu sur notre infrastructure et bénéficier de notre système de royalties. 💰
Quels produits allez-vous lancer ?
Des jeux sur mobiles. Plus que quelques semaines à attendre pour savoir lesquels !
Est-ce que vous cherchez à lever des fonds ?
Sky Mavis est très bien financé. Nous avons suffisamment d’argent en fiat et en cryptos pour tenir au moins quatre ans. Nous n’avons pas besoin de lever des fonds et nous allons plutôt même investir dans d’autres studios de jeux.
Sorare est rapidement devenu l’un des jeux cryptos les plus connus. Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas un grand fan de football ⚽ (Sorare est aussi disponible dans le basketball et le baseball, ndlr) , mais j’aime beaucoup ce qu’ils font. Ils ont trouvé leur marché de niche et ils exécutent très bien. Je pense simplement que le défaut de Sorare, c’est qu’ils doivent payer très cher les licences aux clubs et aux ligues pour se développer.
Mais ils ont l’avantage d’avoir des liens avec l’économie traditionnelle…
Oui, c’est une approche différente. Mais nous aussi nous serons, à termes, liés à l’économie traditionnelle.
Le gendarme boursier américain (SEC) vient d’expliquer que les NFTs et d’autres cryptos pourraient être considérées comme des titres financiers. Est-ce que c’est un problème pour vous ?
Les choses ne sont pas encore tranchées. Là, vous parlez de NBA Top Shot et d’autres jeux comme celui-ci qui sont en Amérique du nord donc très scrutés par le régulateur.
Axie Infinity est essentiellement en Asie, donc plus éloigné. Mais plus globalement, je trouve cette idée de considérer les NFTs comme des titres financiers complètement ridicule. Les NFTs ne sont qu’une technologie, il faut réguler le sous-jacent. ⚖️
Vous étiez en France pour NFT Paris . Pourquoi ?
Il y a plusieurs objectifs, mais le premier est clairement de reprendre contact avec des partenaires, investisseurs, et acteurs du secteur. Il y a aussi des projets intéressants dans lesquels nous pourrions investir.
Que pensez-vous de l’écosystème français, et plus globalement européen ?
Il y a de nombreux projets très intéressants. L’écosystème se développe très bien. Mais plus fondamentalement ce que je trouve intéressant, c’est la volonté politique des autorités.
J’ai entendu il y a quelques jours le ministre du numérique, Jean-Noël Barrot parler du Web3. Il est très positif, ça donne envie de s’installer en Europe et surtout en France. 🇫🇷