The Big Whale : Paymium vient de présenter une toute nouvelle stratégie, si on devait la résumer par où commencerait-on ?
Alexandre Stachtchenko : Si le public est plutôt professionnel, je pense que nous mettrions l’accent sur plusieurs points, notamment sur la partie stablecoin et le lancement d’une nouvelle offre, soutenue par des moyens à la hauteur de nos ambitions. Cela inclut la nomination de Thierry Lobjois, une figure importante dans le secteur de la finance traditionnelle avec une carrière en France, au Luxembourg et en Suisse. Cela reflète une certaine transition entre la finance traditionnelle et la finance de demain.
Mais il y a aussi d’autres messages clés, comme un recentrage sur nos valeurs. Il y a également une offre jeune que nous sommes les premiers à proposer. Cela répond à deux publics : d’un côté, les bitcoiners convaincus qui vieillissent (cela fait maintenant 15 ans que le Bitcoin existe) et de l’autre, les jeunes qui s’intéressent de plus en plus aux cryptos. D’ailleurs, lors d’un récent événement au salon Patrimonia, sans même l’annoncer, environ 10 % des participants m’ont spontanément demandé cette offre.
Nous avons également constaté que les jeunes s’intéressent naturellement à la crypto. Selon une étude de l’ADAN, KPMG et Ipsos , 30 % des jeunes âgés de 18 à 25 ans possédaient des cryptos. Plus on descend dans la pyramide des âges, plus l’adoption est forte, et cela continue d’augmenter avec le temps. C’est devenu un véritable sujet de société, accentué par des événements comme le COVID, l’inflation, et l’intérêt des jeunes pour les placements financiers.
Lorsque vous avez pris votre poste, certaines critiques ont été exprimées à l’égard de Paymium. Si vous deviez résumer ces critiques, quels seraient les points les plus souvent soulevés ?
Les trois critiques principales portaient sur l'accessibilité, les frais d'inactivité, et le token BCIO. Tout d'abord, sur l'accessibilité, de nombreux utilisateurs trouvaient la plateforme complexe et difficile à utiliser. Dès mon arrivée, j'ai réalisé qu'il fallait non seulement rendre la plateforme plus intuitive, mais aussi renforcer notre communication sur nos valeurs fondamentales. Nous avons entrepris un travail en profondeur pour définir qui nous sommes en tant qu'entreprise et sur quoi nous ne transigerons pas. Notre mission est d'émanciper financièrement via Bitcoin, et même si nous proposons d'autres cryptomonnaies, elles doivent être en accord avec cet objectif. Nous avons également pris des mesures pour ajouter des fonctionnalités comme les stablecoins afin de répondre aux attentes des utilisateurs.
Ensuite, la question des frais d'inactivité était un sujet de préoccupation. Beaucoup de nos utilisateurs ne comprenaient pas pourquoi ces frais existaient. Nous avons écouté ces retours et décidé de les supprimer, alignant ainsi Paymium sur les pratiques de marché. Bien que ces frais représentaient une source de revenus pour nous, nous avons fait le choix de les retirer pour améliorer l'expérience client et montrer que nous sommes à l’écoute de notre communauté.
Le troisième point concerne le token BCIO. Il y avait des critiques sur la gestion de ce jeton, notamment sur sa valorisation. Nous avons pris des mesures pour nous assurer que personne ne soit lésé en réintroduisant un prix du token supérieur au prix maximum auquel il a été acheté, en prenant même en compte l'inflation (il permettra de payer les frais de transaction à raison de 85 centimes par token, ndrl). Cela nous permet de respecter nos engagements envers nos utilisateurs. Cependant, dans le cadre de notre recentrage sur le Bitcoin, nous avons décidé de ne pas relancer le token BCIO comme un axe de développement pour l’avenir. Nous sommes focalisés sur la construction d'une stratégie claire, centrée sur Bitcoin, et ne souhaitons pas nous disperser avec des projets qui ne correspondent plus à notre vision actuelle.
“C’est une source de revenus que nous avons décidé de supprimer pour montrer que Paymium évolue” Est-ce que la suppression des frais d’inactivité entraînera un manque à gagner pour Paymium ?
Oui, il y aura un impact financier, c’est indéniable. Mais il est plus important pour nous de répondre aux attentes de nos utilisateurs et de montrer que nous avons écouté leurs retours. Le fait de supprimer ces frais est un signal fort. Ce n’est pas une petite modification : c’est une source de revenus que nous avons décidé de supprimer pour montrer que Paymium évolue.
Cela montre également que ce que vous saviez de Paymium avant, et les raisons pour lesquelles certains utilisateurs nous ont quittés, n'existe plus. Nous avons fait cet effort financier pour prouver que nous sommes désormais au niveau du marché. Certes, cela représente un sacrifice, mais Paymium est solide et nous avons les épaules pour supporter cette transition.
Est-ce que cela signifie que les frais de gestion ou de conservation vont augmenter pour les institutionnels ?
Non, pas nécessairement. Ce que nous supprimons ici, ce sont les frais d’inactivité, qui concernaient les utilisateurs qui ne se connectaient pas pendant plusieurs années. Pour les institutionnels, la conservation est un service différent, et nous explorons la manière dont nous pouvons développer cette offre. Nous avons récemment recruté Thierry Lobjois, qui connaît bien les besoins de cette clientèle, et nous nous appuyons sur son expertise pour structurer une offre adaptée.
La conservation semble être un modèle plus logique pour nous, car il est mieux aligné avec nos valeurs et notre stratégie à long terme. Cela correspond à notre mission d’encourager l’épargne à long terme avec Bitcoin. Nous souhaitons encourager les institutionnels à adopter une approche d’investissement durable, plutôt que de les inciter à spéculer en permanence.
Cela ne veut pas dire que le trading est mauvais – nous sommes une plateforme d’échange, après tout – mais l’alignement entre un modèle de conservation et nos valeurs est plus évident que celui basé sur le volume de transactions. Nous avons déjà des projets en préparation pour les prochains mois, notamment des collaborations avec d’autres entités, qui pourraient impliquer un modèle différent en fonction des besoins du marché.
Vous avez mentionné une offre à destination des jeunes, c’est une approche unique. Pouvez-vous nous en dire plus sur comment cela va fonctionner ?
L’idée de cette offre est de créer une forme de livret, bien qu’il ne s’agisse pas d’un livret classique avec un rendement garanti. Concrètement, un parent pourra ouvrir un compte Paymium et créer un sous-compte dédié à son enfant. Ce sous-compte appartiendra juridiquement à l’enfant, mais le parent en gardera la gestion, comme c’est le cas avec d'autres types de comptes enfants dans le système bancaire classique.
Le parent devra fournir des documents légaux, comme le livret de famille, pour prouver la relation parent-enfant. Une fois ce sous-compte créé, il sera juridiquement protégé et appartiendra à l’enfant. Mais c’est le parent qui décidera comment alimenter ce compte. Il pourra y verser du Bitcoin régulièrement, chaque semaine ou chaque mois, ou bien simplement à l’occasion d’événements comme Noël ou des anniversaires.
Nous offrons ainsi un cadre sécurisé, régulé et encadré juridiquement, pour que les parents puissent initier leurs enfants à l’épargne Bitcoin, tout en restant sous leur contrôle. Nous ne nous immisçons pas dans les décisions familiales, mais nous fournissons l'infrastructure pour que cela se fasse de manière responsable.
Dans un premier temps, cette offre sera principalement axée sur Bitcoin, car c’est l’actif qui fait le plus sens dans une optique d’épargne à long terme. Nous laisserons cependant la possibilité d’investir dans d’autres cryptomonnaies, comme l’ether ou des stablecoins, en fonction des besoins des parents. Mais notre communication restera axée sur le Bitcoin, car nous pensons que c’est l’option la plus pertinente pour les jeunes.
Vous avez recruté Thierry Lobjois, un expert du secteur financier traditionnel. Quelle sera sa mission chez Paymium et pourquoi pensez-vous que Paymium a les arguments pour conquérir cette cible institutionnelle ?
Thierry Lobjois a rejoint Paymium pour diriger notre offre institutionnelle. Il connaît parfaitement ce marché, ayant travaillé sur des produits structurés au sein d’institutions financières prestigieuses comme Société Générale, BNP Paribas et Crédit Agricole. Il dispose d’un réseau important et d’une connaissance approfondie de l’architecture des produits financiers traditionnels.
Sa mission chez Paymium sera d’articuler les besoins des clients institutionnels et de développer une offre de produits alignée avec ces besoins. Il servira de pont entre la finance traditionnelle et le monde du Bitcoin. Grâce à son expertise, il saura formuler une offre qui répondra aux exigences des institutionnels en matière de sécurité, de réglementation et de gestion des actifs.
Son arrivée est stratégique pour nous, car elle renforce notre crédibilité auprès des institutionnels. Paymium est un acteur ancien et régulé, basé en France, ce qui nous donne un avantage concurrentiel sur d'autres plateformes internationales. Nous avons une infrastructure solide, une expertise locale et une régulation stricte, autant d’éléments qui sont essentiels pour les institutions financières lorsqu'elles envisagent de travailler avec un acteur dans le domaine du Bitcoin.
“Nous devons encore déterminer si les institutionnels seront prêts à s'exposer directement au Bitcoin en le conservant eux-mêmes, ou s'ils préfèreront passer par des produits structurés, comme des ETF ou des ETP” Comment comptez-vous les attirer dans un marché où des produits plus simples comme les ETP existent déjà ?
C’est effectivement une question clé. Aujourd’hui, nous ne parlons pas aux institutionnels en leur vendant simplement de la crypto, nous leur parlons spécifiquement de Bitcoin. Bitcoin est perçu par beaucoup comme une solution d’épargne à long terme, un moyen de diversification de portefeuille et un actif performant. Nous nous appuyons sur des rapports d'acteurs majeurs comme BlackRock qui reconnaissent Bitcoin comme un actif de diversification, ce qui facilite grandement notre discours.
Cela dit, nous devons encore déterminer si les institutionnels seront prêts à s'exposer directement au Bitcoin en le conservant eux-mêmes, ou s'ils préfèreront passer par des produits structurés, comme des ETF ou des ETP.
En Europe, nous avons déjà des produits similaires, comme les ETP de CoinShares ou 21Shares, mais il n’y a pas encore d’ETF véritablement équivalent à ceux disponibles aux États-Unis. Nous devons donc analyser la demande et voir ce que le marché préfère.
Idéalement, nous aimerions promouvoir la détention directe de Bitcoin, notamment avec des solutions comme la self-custody pour les institutionnels. Certaines directions financières, notamment celles de grands groupes du CAC 40, pourraient être intéressées par la gestion directe de leurs actifs numériques. Pour d'autres, cela n’aura pas autant d'importance, et ils préféreront passer par des produits plus traditionnels.
Nous restons flexibles et nous adapterons notre offre en fonction des retours du marché. Si les institutionnels préfèrent passer par des produits structurés, nous nous y adapterons, tout en restant alignés sur nos valeurs. Si cela devait se produire, nous privilégierions des partenariats avec des acteurs européens, comme nous l’avons fait pour le stablecoin de Société Générale.
Vous avez mentionné le stablecoin EURCV de Société Générale qui est désormais intégré à Paymium. Pourquoi avoir choisi ce stablecoin plutôt que l’EURC de Circle, qui semble plus liquide et intégré ?
Le choix de l’EURCV de Société Générale reflète notre engagement envers la souveraineté française et européenne. Nous avons fait le choix délibéré de travailler avec un acteur régulé en France, car cela correspond à nos valeurs de décentralisation et d'indépendance.
Cela ne veut pas dire que nous excluons totalement l’EURC de Circle. Nous sommes en dialogue avec eux, et si la demande pour ce stablecoin est forte, nous pourrions l’ajouter à notre offre. Mais pour l’instant, nous avons privilégié l’EURCV pour rester cohérents avec notre stratégie de soutenir des acteurs locaux et régulés.
Nous avons conscience que l’EURCV n’est pas encore aussi bien intégré que d’autres stablecoins, mais c’est un pari que nous faisons sur l’avenir. Si ce choix s’avère être un obstacle à long terme, nous ajusterons notre stratégie en conséquence. Pour l'instant, il est essentiel pour nous de soutenir un stablecoin euro régulé par un acteur français, car cela correspond à nos principes de souveraineté financière.
“Les volumes quotidiens sur Paymium sont autour de 250 000 dollars” Vous avez récemment acquis le petit exchange français Zebitex, comment s’est passée cette acquisition et quelles en sont les conditions ?
L’acquisition de Zebitex s’inscrit dans notre stratégie de consolidation du marché français. Zebitex était un exchange, bien que de petite taille, comme Paymium. Plutôt que de maintenir deux petites plateformes concurrentes, nous avons choisi de fusionner nos forces pour proposer une alternative crédible face aux grandes plateformes internationales.
Les conditions de l'acquisition sont simples : nous avons repris les actifs et les clients de Zebitex. La transition s’est bien passée, et nous avons informé les clients de Zebitex depuis plus d’un mois du transfert de leurs actifs chez Paymium. Ce processus s'est déroulé sans problème majeur.
Le message que nous envoyons avec cette acquisition est double. Premièrement, nous affirmons notre ambition d’être la place de marché de référence en France. Deuxièmement, nous adressons un appel aux autres acteurs du marché : si vous pensez ne pas pouvoir vous conformer aux régulations MiCA, parlons-nous. Nous croyons en l'union et nous pensons qu’en travaillant ensemble, nous pouvons construire un acteur solide et pérenne pour le marché français.
Quels sont les volumes d’activité sur Paymium ?
Aujourd’hui, les volumes quotidiens sur Paymium sont autour de 250 000 dollars. C’est vrai que ce chiffre peut paraître modeste, mais il est important de noter que nous avons connu une augmentation significative des volumes au cours du premier semestre 2024. Nous avons déjà réalisé autant de volumes sur cette période que sur toute l’année précédente.
Notre objectif est de continuer à augmenter ces volumes, et nous sommes convaincus que nous pouvons le faire. L'un des principaux atouts de Paymium est que nous sommes une place de marché, et non un broker. Cela signifie que nous avons une infrastructure de marché qui nous permet de proposer des tarifs beaucoup plus compétitifs que ceux des brokers.
Pour donner un exemple, si vous placez un ordre de 10 000 euros sur Paymium, vous aurez des frais de seulement 0,6 %, et même 0,4 % si vous êtes maker . En comparaison, les frais traditionnels chez un broker sont généralement de 1,5 % à 3 %. Cela nous donne un avantage concurrentiel important, et c'est pourquoi il serait suicidaire pour nous d'abandonner ce modèle pour devenir un simple broker.
Cela dit, nous devons être réalistes. Il est plus facile de fonctionner en tant que broker, car cela implique de lister des tokens déjà disponibles ailleurs, sans avoir à créer notre propre place de marché. Mais ce n'est pas notre vision. Si nous devenions un broker, nous perdrions notre indépendance et deviendrions dépendants d’acteurs externes pour fournir de la liquidité.
Nous avons donc fait le choix d'être une place de marché indépendante, avec des volumes que nous espérons augmenter progressivement. Notre ambition est de revenir aux niveaux de 2021, lorsque nous traitions entre 1 et 2 millions de dollars par jour.
Vous mentionnez souvent la souveraineté numérique et financière de la France . Pourquoi est-ce important pour Paymium de maintenir une infrastructure de marché en Europe ?
C’est une question de souveraineté, à la fois pour la France et pour l’Europe. Avoir une infrastructure de marché européenne, c'est comme avoir Euronext pour les actions. C’est essentiel pour que nous puissions accéder à la liquidité sans dépendre de tiers étrangers.
Si demain nous rencontrions un problème avec nos partenaires américains, l’Europe pourrait se retrouver dans une situation où elle ne pourrait plus acheter de bitcoins. La majorité des courtiers européens se fournissent auprès de plateformes basées en dehors de l’Union européenne. Si ces plateformes venaient à disparaître ou à être bloquées pour des raisons politiques, l’Europe serait coupée de l'accès au Bitcoin.
Cela nous rappelle d'autres secteurs où l'Europe s'est retrouvée dépendante d'acteurs étrangers, que ce soit pour les médicaments, l'énergie ou la technologie. Nous ne voulons pas répéter les mêmes erreurs avec le Bitcoin et la finance numérique.
Pour Paymium, maintenir une infrastructure de marché en France et en Europe est essentiel pour garantir notre indépendance. Nous ne voulons pas que l’Europe se retrouve dans une situation où elle doit demander la permission à des acteurs étrangers pour accéder à un actif aussi fondamental que le Bitcoin.
C’est aussi une question de décentralisation. Si le marché du Bitcoin est contrôlé par seulement trois ou quatre plateformes, toutes basées au même endroit, alors le Bitcoin lui-même perd une partie de sa promesse de décentralisation. C’est pourquoi il est essentiel d’avoir des places de marché distribuées à travers le monde, et notamment en Europe, pour garantir la résilience du réseau Bitcoin.
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