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Arthur Breitman (Tezos) : "Les Layer 1 n'ont pas d'autres choix que réussir ou mourir”

Arthur Breitman (Tezos) : "Les Layer 1 n'ont pas d'autres choix que réussir ou mourir”

Arthur Breitman (Tezos) : "Les Layer 1 n'ont pas d'autres choix que réussir ou mourir”Arthur Breitman (Tezos) : "Les Layer 1 n'ont pas d'autres choix que réussir ou mourir”

Lancée en 2018, la blockchain d’origine française continue de se développer, mais ne cesse de perdre du terrain par rapport aux plus gros protocoles. Une situation qui n’inquiète pas son fondateur qui mise sur la "capacité d’innovation" de Tezos.

The Big Whale : En six ans, il s’est passé beaucoup de choses pour la blockchain Tezos. Après des débuts très prometteurs, vous être vite devenu un acteur de second plan. Où en êtes-vous ? Est-ce que votre tour n’est pas passé ?

Je reste très confiant sur l’avenir de Tezos et sa mission reste la même : être une blockchain de type layer 1 (première couche) très complète qui répond à tous les besoins des utilisateurs et des développeurs.

Maintenant, c’est sûr que les choses ont bien évolué depuis 2018 et que nous avons dû nous adapter, et tenir compte de l’arrivée de nouveaux concurrents dans les layers 1, comme Avalanche ou Solana.

C’est d’ailleurs ce que nous avons commencé à faire, à la fois en travaillant sur les mécanismes économiques de Tezos avec une réduction de l’inflation et ce que nous avons entamé avec EtherLink qui doit nous permettre d’être compatibles avec les autres écosystèmes, comme celui d’Ethereum (EVM).

Vous continuez à vouloir créer un écosystème complet, alors que la clé semble être aujourd’hui de se spécialiser. N’est-ce pas une erreur et ce qui explique votre perte de terrain face aux autres ?

Tout dépend de quelle spécialisation vous parlez. C’est d’un point de vue business ou technologique ? Pour moi d’un point de vue technique, la question ne se pose

pas trop. Une blockchain reste une blockchain. Tout dépend juste de ce que vous souhaitez en faire au niveau commercial, et là vous allez avoir des stratégies différentes. On peut être focalisés sur telle ou telle verticale, mais d’un point de vue technologique il n’y a pas forcément beaucoup de différences. La spécialisation des blockchains est davantage marketing que technologique.

En attendant, Tezos a quelques difficultés au niveau de son développement commercial. Comment expliquez-vous ce retard pris sur d’autres protocoles ?

Tezos a été capable de faire beaucoup de choses avant les autres. Nous avons été parmi les premiers à faire des smart contracts, mais la plateforme n’a pas été conçue comme une plateforme d’applications décentralisées (Dapps). À la base, le tez (la cryptomonnaie de Tezos, ndlr) est un moyen de paiement et une réserve de valeur. Vu l’évolution du marché, nous nous sommes adaptés à la demande croissante de programmabilité, mais sans pour autant abandonner la partie paiement et réserve de valeur, ce qui nous a laissé un peu dans un entredeux et nous a donc empêchés de bien prendre la vague de la finance décentralisée.

Qu’est-ce qui n’était pas prêt ?

Pas mal de choses ! Il y avait à la fois un problème de vitesse, la latence était trop haute, et quand vous visez un marché de traders, c’est compliqué. Il manquait aussi l’intégration des appels de smart contracts dans les wallets, il manquait aussi de l’outillage autour des langages de programmation. Et nous aurions pu faire mieux dans la relation avec les développeurs.

Effectivement, cela fait quelques trous dans la raquette !

Oui nous avons manqué de stratégie, ce qui a pu nous pénaliser alors que les marchés se sont envolés avec la finance décentralisée.

Au-delà des questions stratégiques, qu’est-ce qui explique qu’un tel écart se soit creusé entre Tezos et certaines autres blockchains comme Ethereum évidemment, mais aussi Solana ?

Aujourd’hui les blockchains sont financées par des fonds qui détiennent une grande partie des tokens, souvent plus de la moitié, ce qui est un avantage en termes de financement, mais représente aussi un gros problème en termes de centralisation avec en plus ces fonds qui poussent les entreprises de leur portefeuille à construire sur protocoles dans lesquels ils ont investi.

En face, avec Tezos, nous n’avons pas la même puissance, mais nous avons une solution : être toujours à la pointe de l’innovation. Depuis 2018, nous sommes toujours à l’avant-garde. Nous étions par exemple les premiers en Proof of Stake avec des incitations économiques uniques.

Mais vous avez été rapidement rejoint par les autres… Les autres travaillent aussi ! Plusieurs blockchains sont arrivées avec des propositions de valeur très intéressantes, que ce soit Cosmos avec l’interopérabilité ou alors d’autres comme Solana avec le nombre de transactions par seconde. On s’est retrouvés assez vite challengés sur de nombreux domaines.

Est-ce que ce n’est pas justement ça le problème de Tezos, vouloir être bons partout et finalement excellents nulle part ?

Si vous voulez être vraiment compétitif en tant que challenger, vous devez être à la pointe de l’innovation. Ethereum n’a pas ses contraintes parce qu’ils ont déjà le plus gros réseau. Ils peuvent se permettre de ne pas être techniquement compétitifs parce que les gens viennent chercher l’effet de réseau.

Est-ce qu’en 2024 cette vision marche encore ? Comme vous le dites, aujourd’hui c’est le réseau qui compte plus que la technologie et le innovations…

En 2021, Tezos a connu une vague d’adoption importante sur la partie NFT, et notamment sur la vague artistique. Même si la quantité totale de transactions sur la blockchain n’a pas été énorme, cet afflux a créé un rayonnement culturel énorme. Tout ça est venu du fait que Tezos offrait du Proof of Stake avant tous les autres, alors qu’Ethereum était encore en Proof of Work (depuis 2022 en Proof of Stake, ndlr) avec des frais de transaction beaucoup plus élevés. Nous avions un vrai avantage technologique. Donc même si ces avantages ont une durée de vie limitée, il faut savoir en profiter.

C’est d’ailleurs exactement ce que Solana a fait. Comment ont-ils réussi ? Il y a évidemment la fraude massive derrière FTX qui leur a profité (FTX et son fondateur, Sam Bankman Fried, étaient des gros investisseurs dans Solana, ndlr). Ça compte évidemment. On parle de 30 milliards de dollars. Mais Solana a aussi ses propres mérites, ils sont arrivés avec des blocs à la seconde et la possibilité de faire 60.000 transactions par seconde ! Ça leur a apporté quelque chose d’énorme, et c’est ce genre de hedge technologique que je recherche.

En dehors de l’art, quels sont les domaines dans lesquels Tezos s’est imposé ?

Les autres secteurs sont le gaming avec de beaux projets comme Stables, soutenu par PMU et la Fondation Tezos. Il y a aussi évidemment la finance décentralisée où nous sommes assez innovants. Nous avons des plateformes comme Kord.Fi ou Youves qui sont intéressantes.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans la DeFi ?

L’un des intérêts de la DeFi est de faire de la tokenisation d’actifs pour qu’ils soient plus liquides,  comme par exemple sur les matières premières. Comme ce sont de gros actifs, il y a potentiellement plus de volumes et de besoin d’échange. C’est aussi pour capter ce nouveau marché que nous avons développé Etherlink, qui va permettre de faire le pont entre Tezos et l’écosystème Ethereum.

Etherlink est l’un des gros projets sur lesquels vous avez travaillé. Pourquoi développer un layer 2 qui soit compatible avec l’univers Ethereum. Nous en avons déjà parlé, mais n’est-ce pas une manière de reconnaître que vous avez perdu la bata-ille de l’indépendance ?

L’interopérabilité est devenue un sujet incontournable. C’est une manière pour nous d’aller chercher de nouveaux utilisateurs. Etherlink est déjà disponible sur le mainnet de Tezos en Beta et des applications tournent dessus. Le lancement officiel se fera d’ici quelques semaines.

Si on regarde les chiffres, votre “capitalisation” (750 millions d’euros, ndlr) est en nette baisse sur ces trois dernières années. Est-ce un problème ?

Je pense que notre secteur souffre de sa réflexivité : beaucoup de gens sont dans ce marché sans trop savoir ce qu’ils font et finissent par suivre les autres en pensant qu’eux savent ce qu’ils font. Sauf qu’évidemment cela n’est pas le cas, donc tout le monde finit par faire comme le voisin. La capitalisation est un sujet, mais l’utilisation de la blockchain est aussi très importante. Nous sommes là depuis longtemps et cela va continuer.

Pourriez-vous fusionner avec d’autres protocoles ?

On a vu récemment une grosse opération autour d’ASI Alliance. J’ai beaucoup réfléchi à cette question. Il faut se dire que si on était dans n’importe quel autre secteur, il y aurait énormément de rachats et de rapprochements (M&A), parce que nous avons une industrie où les effets de réseaux sont énormes et où beaucoup d’acteurs ont de l’argent.

Comment expliquez-vous que ces opérations ne se fassent pas ?

Le fait que les projets soient décentralisés est un vrai obstacle. Prenez 2 blockchains qui doivent fusionner : si les projets sont vraiment décentralisés, il n’y a aucun moyen d’être sûr que les blockchains ne continueront pas d’exister en parallèle. Est-ce que les utilisateurs vont suivre ? Le problème c’est que la valeur de ces jetons dépend de la communauté, c’est très subjectif comme sujet.

Et même si les deux blockchains se mettent d’accord, il faut aussi gérer les problèmes technologiques. C’est très compliqué de bien fusionner deux écosystèmes, c’est d’ailleurs un vrai sujet pour l’industrie.

À vous entendre, il n’y a pas beaucoup d’alternatives pour un layer 1.

Effectivement. Les Layer 1 n'ont pas d'autres choix que réussir ou mourir, il n’y a pas d’alternatives.

Et pourquoi ne pas discuter avec des entreprises plus traditionnelles ?

Nous y avons pensé, et nous y pensons encore. Aujourd’hui, il y a un modèle intéressant qui se dégage : coupler une blockchain à une communauté et un canal de distribution.

C’est ce qu’a fait Binance avec la blockchain BNB, Coinbase avec la blockchain Base, Telegram avec la blockchain Ton et encore d’autres, ou même justement FTX avec la blockchain Solana. C’est une intégration verticale qui est intéressante.

Après il faudrait savoir ce que cela voudrait dire concrètement pour Tezos et quelle acquisition nous pourrions envisager. Les partenariats peuvent aussi très bien marcher.

Ces dernières années, vous avez effectivement fait beaucoup de partenariats, notamment avec des clubs de sport. Tout le monde a vu votre logo sur le maillot du club de football de Manchester United.

N’était-ce pas de l’argent un peu gaspillé ?

Nous avons bien réduit la voilure sur ces partenariats. Et il ne faut pas oublier que lorsque nous l’avons fait, il y avait une vraie demande de la communauté pour que Tezos gagne en visibilité.

Quels sont les résultats de ces campagnes ?

Globalement, c’était décevant parce que ça ne permet pas de faire rentrer des utilisateurs sur le long terme. Ils ne viennent que momentanément. Plus globalement, la crypto reste un secteur de niche, donc même en sponsorisant une équipe de foot ou la Formule 1, l’impact reste encore limité.

Aujourd’hui quelle est la cible de Tezos ? Est-ce que vous visez toujours les entreprises ?

Les particuliers et les entreprises, mais notre objectif est évidemment de construire et de développer des projets avec les entreprises sur Tezos. La fondation a été très active auprès des entreprises, avec beaucoup de grants (subventions) mais là aussi nous avons réduit la voilure.

Aujourd’hui, nous voulons des résultats et on regarde le nombre de comptes et l’activation que cela crée vraiment. Nous sommes prêts à investir, même agressivement, mais il faut que l’impact soit mesurable et évident. On peut dépenser beaucoup si cela vaut le

Combien de personnes travaillent sur Tezos entre Nomadic Labs, Trilitech et la fondation Tezos ?

Environ 150.

Qu’est-ce qui aujourd’hui devrait pousser une entreprise à aller sur Tezos ?

Nous avons une très bonne réputation, une très bonne sécurité. Nous ne sommes pas une blockchain de hype. Si vous cherchez une blockchain solide et résiliente, il faut venir sur Tezos.

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