The Big Whale : La baisse des taux a été enclenchée par la Réserve fédérale des États-Unis en septembre, mais contrairement aux actions qui ont fortement augmenté, les cryptomonnaies n’ont pas suivi aussi fortement. Comment l’expliquer ?
Arthur Hayes : Cela s'explique principalement par le fait que les attentes concernant l'augmentation de la masse monétaire n'ont pas vraiment évolué.
Je fais partie de ceux qui pensent que la quantité de monnaie en circulation est plus cruciale que son prix. Certes, lorsqu'on évoque une baisse des taux d'intérêt, on se focalise sur le coût de l'argent — c'est-à-dire le prix de l'emprunt ou du prêt. Cependant, l'élément véritablement déterminant est la quantité de monnaie émise, autrement dit, le volume de dollars de crédit générés par les banques, les banques centrales et les gouvernements. Or, jusqu'à présent, cette quantité n'a pas connu d'augmentation significative.
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Quand pensez-vous que cela finira par arriver ?
Nous devrons observer si la Fed met fin à son programme de resserrement quantitatif, si elle relance l'impression monétaire via l'assouplissement quantitatif (QE), si les banques augmentent leurs prêts, ou si le Trésor américain réduit son compte courant à la Fed. Il existe de multiples façons d'injecter des dollars dans le système financier.
Je suis convaincu que ces événements se produiront, car les effets des baisses de taux d'intérêt risquent d'être moins efficaces que prévu. De plus, si Kamala Harris perd du terrain dans les sondages, les Démocrates seront probablement contraints d'agir davantage pour soutenir les marchés financiers avant l'élection présidentielle. Cela entraînera inévitablement l'émission de nouveaux dollars par la Fed, le Trésor ou le système bancaire.
En outre, la Chine représente un autre foyer potentiel d'explosion de liquidités en monnaie fiduciaire. Depuis que la Fed a commencé à réduire ses taux, la Banque populaire de Chine a également abaissé plusieurs de ses taux directeurs.
Tout récemment, ils ont annoncé une injection de 142 milliards de dollars dans les banques publiques. Bien que cela puisse ne pas suffire à éviter une récession en Chine ou à contenir les effets de l'éclatement de leur bulle immobilière, c'est néanmoins un pas dans la bonne direction. La Chine dispose encore d'une marge de manœuvre considérable pour accroître la liquidité, d'autant plus que le dollar s'affaiblit. À terme, cela pourrait profiter au marché des cryptomonnaies. Cependant, il faudra un certain temps avant d'en constater les effets.
“Jusqu’à novembre, le contexte économique sera très favorable aux cryptos” En termes de calendrier pour les prochains mois, à quoi faut-il s’attendre ?
Nous sommes maintenant dans un environnement de liquidité très favorable pour les raisons que je viens d’évoquer. Je suis très optimiste jusqu’à début novembre, au moment des élections américaines, parce que je pense qu’il y aura une grande incertitude jusqu’à ce que le résultat soit définitivement connu, ce qui pourrait prendre des semaines voire des mois.
À mon avis, quel que soit le vainqueur, l’autre partie ne l’acceptera pas et il y aura des contestations, des actions en justice, des manifestations dans les rues, etc. D’autant plus que le plafond de la dette devra être renégocié début janvier. De mon point de vue, ces incertitudes vont peser à la baisse sur les marchés crypto.
Une fois que tout sera stabilisé, ce sera le début d’un nouveau marché haussier. Peu importe qui gagne, que ce soit Kamala Harris ou Donald Trump, ils imprimeront de l'argent pour financer leurs programmes respectifs, que ce soit des réductions d'impôts pour Trump ou des dépenses sociales pour Harris. Mécaniquement, il y aura plus d'argent en circulation, et donc plus de liquidité pour les marchés. Cela va entraîner une augmentation des valeurs des actifs, y compris des cryptomonnaies.
Certains affirment que nous ne sommes pas encore entrés dans le véritable marché haussier (Bull Run). Vous ne partagez pas cette opinion, pourquoi ?
En effet. À mon avis, nous sommes en plein Bull Run depuis mars 2023, période où le cours du bitcoin a entamé une hausse constante. Cette date coïncide également avec la crise des banques régionales aux États-Unis. Je suis convaincu que ce marché haussier va se prolonger.
J'ai récemment publié un essai intitulé “Volatility Supercycle”, où j'explique que chaque crise financière exige une réponse de plus en plus musclée des autorités pour maîtriser la volatilité.
Pendant la crise du COVID-19, les États-Unis ont créé 40 % de tous les dollars jamais émis entre 2020 et 2022 pour soutenir l'économie. Et ce n'est que le début. Nous sommes aujourd'hui témoins d'une refonte majeure des pouvoirs économiques mondiaux, avec l'ascension des BRICS, la dédollarisation et l'émergence d'un ordre multipolaire.
Pour faire face à cette volatilité géopolitique et économique, les gouvernements devront imprimer des quantités de monnaie sans précédent. C'est pourquoi je suis persuadé que le prochain marché haussier des cryptomonnaies est inévitable et, sur le long terme, je prévois un bitcoin à 1 million de dollars. Seul le déclenchement de nouveaux conflits mondiaux pourrait entraver cette dynamique.
“Larry Fink a obtenu en six mois ce que les frères Winklevoss n'ont pas pu obtenir en dix ans” D’ailleurs, BlackRock et plus largement de nombreuses institutions financières traditionnelles ne cessent de vanter les qualités du bitcoin ces derniers mois. Selon vous, qu’est-ce qui explique ce changement de perception ?
Honnêtement, je doute que les dirigeants de BlackRock comprennent pleinement les implications. À un niveau plus élevé, les banques cherchent des moyens de contourner les limitations croissantes imposées par les gouvernements et de créer de nouvelles sources de profit. Le secteur crypto leur permet de le faire, même s'ils ne sont pas nécessairement "pro-crypto". Ils voient surtout une opportunité commerciale.
À mesure que les gouvernements continuent de s'endetter et d'imposer des restrictions aux banques, ces dernières vont chercher à offrir des services crypto pour échapper à certaines formes de contrôle.
Je l'ai toujours dit, les grandes institutions financières ne détestent pas les cryptomonnaies en tant que telles, elles détestent le fait que des outsiders comme moi ou CZ (Changpeng Zhao, ex-PDG et cofondateur de Binance) aient pu en tirer des profits énormes. Maintenant que Larry Fink et BlackRock en profitent, ils adorent le Bitcoin. Leur ETF Bitcoin a été leur lancement le plus réussi, et ils sont le plus grand gestionnaire d'actifs au monde.
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Désormais, ils sont partout dans les médias financiers traditionnels à vanter les mérites du Bitcoin, tout simplement parce qu'ils y gagnent de l'argent. Cela montre à quel point les institutions financières traditionnelles sont motivées par les profits avant tout.
Tout dépend du prix. Plus le prix du Bitcoin augmente, plus les gens veulent en acheter, c’est aussi simple que cela. Les principes fondamentaux de la décentralisation et de la résistance à la censure sont importants, bien sûr, mais ce qui attire vraiment les investisseurs traditionnels, c'est l'argent à gagner. Quand ils voient que le bitcoin atteint 64 000 dollars ou que la capitalisation totale des cryptomonnaies dépasse 1 500 milliards de dollars, ils s’y intéressent, car ils peuvent en tirer des bénéfices. Ce n'est pas une question de croyance en la technologie, c'est une question de profits.
L’approbation rapide des ETF Ethereum Spot vous a-t-elle surpris ?
Pas vraiment. Larry Fink a obtenu en six mois ce que les frères Winklevoss n'ont pas pu obtenir en dix ans. Tout dépend de qui le demande. Quand Larry Fink demande quelque chose, cela arrive immédiatement. Quand c’est un "crypto bro", c’est une autre histoire.
En ce qui concerne Ethereum, pourquoi son prix est-il resté relativement bas par rapport à Bitcoin ces derniers temps ?
D'abord, parce que la valeur d'Ethereum n'est pas encore aussi bien comprise que celle de Bitcoin. C'est le premier facteur que j'observe. Ensuite, il est crucial de comprendre l'origine des flux sur les ETF, en particulier celui du Bitcoin.
Les plus grands fonds doivent déclarer leurs positions les plus importantes. En tête de liste, on trouve des acteurs comme Millennium, Citadel et Point72. Ce sont tous des hedge funds. Ils n'adhèrent pas à la philosophie du Bitcoin. En réalité, ils n'adhèrent à aucune philosophie. Leur seule motivation est le profit.
Que font ces hedge funds ? Ils pratiquent ce qu'on appelle le « basis trade ». Concrètement, ils ont rapidement acheté l'ETF Bitcoin dès sa cotation, tout en vendant simultanément des contrats à terme équivalents sur le marché du CME (Chicago Mercantile Exchange). Cette stratégie, ajustée au risque, s'avère très lucrative.
En ce qui concerne Ethereum, dont l'ETF a été lancé cet été, le rendement du basis trade était négligeable. Si l'on exclut le revenu du staking, cette transaction perd de son intérêt. De plus, la liquidité des contrats à terme Ethereum sur le CME est limitée.
Cependant, la situation pourrait évoluer dans les mois à venir, notamment en raison des baisses de taux qui ont affecté Ethereum. Après le Merge , on a développé l'idée qu'Ethereum s'apparentait à une sorte d'« Internet Bond » grâce au rendement du staking. Mais lorsque les obligations américaines offrent des rendements supérieurs à 5 %, contre 3 % à 4 % pour le staking d'Ethereum, de nombreux investisseurs optent pour les obligations, perçues comme moins risquées.
La Fed a récemment réduit ses taux de 50 points de base, et cette tendance devrait se poursuivre. Si les rendements obligataires passent sous ceux du staking d'Ethereum, l'intérêt pour cette cryptomonnaie remontera. Ainsi, à mesure que les taux baissent et que la perspective de rendements plus élevés en staking sur Ethereum se profile, Ethereum regagnera en attractivité auprès des investisseurs en quête de revenus fixes dans un environnement de taux bas.
“Ce printemps, les taux seront en-dessous de 2 %” Donc selon vous, il est réaliste d’envisager des taux en dessous de 2 % assez rapidement ?
Je pense que dès ce printemps, nous serons en dessous de 2 %, notamment à cause de la période d’incertitude liée à l’élection américaine mais aussi des négociations autour du plafond de la dette.
À la suite de cela, la Fed sera obligée d’agir. En réduisant les taux directeurs, elle pourra mettre fin au resserrement quantitatif, tout cela pour maintenir les marchés financiers à flot. Surtout si Kamala Harris devient présidente puisque les agences soutiennent les Démocrates. Il sera donc logique qu’une fois au pouvoir, elle assouplisse encore davantage les conditions financières pour s'assurer que son pouvoir soit solidement établi au sein du gouvernement fédéral.
Quels candidats seraient les plus à même de développer une politique en faveur du développement du secteur, notamment avec l’émergence d’une réglementation propre aux cryptomonnaies ?
Kamala Harris et Donald Trump ont tous deux occupé des postes de président ou de vice-président pendant quatre ans. Je vais donc me concentrer sur leurs actions concrètes, ou celles de leur parti, plutôt que sur leurs déclarations.
Donald Trump était en fonction de 2016 à 2020. Durant cette période, aucun changement significatif n'a été apporté à la réglementation des cryptomonnaies. Je ne vois donc pas pourquoi cela changerait radicalement s'il revenait au pouvoir. Quant à Kamala Harris, son bilan en la matière ne nécessite pas d'analyse approfondie.
Par ailleurs, je doute que la réglementation américaine soit réellement cruciale pour le secteur. Les États-Unis ne représentent que 4 % de la population mondiale. Le reste du monde, soit 96 %, peut décider de sa propre approche réglementaire. Alors pourquoi tout le monde se focalise-t-il sur les États-Unis ? Certes, si vous êtes une entreprise opérant aux États-Unis, cela vous concerne directement. Mais n'oublions pas que la crypto est un phénomène mondial. La valeur du Bitcoin est passée de zéro à près de 1 500 milliards de dollars sans clarté réglementaire ni soutien gouvernemental. Pourquoi le secteur en aurait-il soudainement besoin maintenant ?
En réalité, ceux qui réclament une réglementation sont principalement des entrepreneurs ayant levé des fonds auprès de capital-risqueurs. Ils ont besoin de l'adoption institutionnelle pour développer leur activité, ni plus ni moins.
Donc le secteur n’a pas besoin de réglementation particulière pour se développer ?
Franchement, je ne pense pas. Les États-Unis peuvent faire ce qu'ils veulent. Ils peuvent être pro-crypto, ils peuvent être anti-crypto, cela n'a pas d'importance. Quelle est la chose qui a fait du Bitcoin l'actif le plus performant de l'histoire de l'humanité ? L'impression monétaire. Cela n'a rien à voir avec les réglementations. Donc, si les gens cherchent un catalyseur haussier, c'est le fait que Kamala Harris et Donald Trump se présentent tous les deux sur une plateforme d'augmentation des dépenses publiques. C'est juste qu'ils vont les allouer différemment à leurs partisans.
Pourtant, des réglementations commencent à émerger un peu partout à travers le monde. N’est-ce pas nécessaire pour que le secteur passe dans une autre dimension et que la crypto soit massivement adoptée ?
J'ai travaillé dans deux banques d'investissement et j’étudie depuis de nombreuses années l’histoire financière. Les banques ne se soucient pas des lois. Elles peuvent enfreindre les lois autant de fois qu'elles le veulent parce que les personnes qui dirigent les banques ne vont jamais en prison. D’autant plus que s’il y avait vraiment une forte demande de la part de clients qui voulaient réellement investir dans la crypto, les banques offriraient déjà ce service, ce qui à mon avis n’est pas le cas.
L’utilité réelle du bitcoin n’est pas encore solidement ancrée dans les esprits. La majorité des clients de ces banques sont encore trop conditionnés à penser tel que le système a fonctionné des années 1970 à 2008. Ils n'ont pas encore ajusté leur cadre de référence à la nouvelle situation inflationniste, compétitive au niveau mondial, et à la façon dont la crypto s'intègre dans cela, et comment la détention d'obligations d'État est une recette pour perdre tout son capital.
Pensez-vous que Bitcoin et Ethereum puissent être concurrencés un jour ?
Penser qu'un changement de réglementation entraînerait un afflux massif d'argent de la finance traditionnelle est, à mon avis, une erreur pour le moment.
Pour Bitcoin, non. C'est, selon moi, la meilleure forme de monnaie crypto. Son réseau décentralisé et résistant à la censure est le plus vaste. Malgré quelques défauts évidents, il surpasse de loin toute alternative.
Quant à Ethereum, il domine la course des « ordinateurs mondiaux décentralisés ». Son écosystème est le berceau de l'innovation, souvent copiée par ses concurrents. Les protocoles les plus reconnus, tels qu'Uniswap ou EigenLayer , en sont issus.
Certes, Solana fait beaucoup parler d'elle actuellement. Elle a connu un franc succès, avec une excellente interface utilisateur et une communauté engagée, notamment autour des memecoins. Mais au final, que représente Solana ? Sa valeur marchande n'équivaut qu'à un quart de celle d'ETH. Il sera extrêmement difficile pour Solana de surpasser ETH, d'autant qu'Ethereum ne cesse d'évoluer. Bien que rien ne soit impossible, si je devais parier, je miserais toujours sur Ethereum.
Quelles seront les narratives de ce prochain Bull Run ?
À mesure que la Fed réduira ses taux, les investisseurs se tourneront vers des placements offrant des rendements attractifs dans l'écosystème crypto. Le staking d'Ethereum, notamment via des plateformes comme EtherFi , permettra d'obtenir ces rendements de manière non-custodial. Par ailleurs, la possibilité de générer des rendements de base du marché crypto avec Ethena pourrait également susciter un intérêt croissant.