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Sorare vient de fêter ses cinq ans. Il s’est passé beaucoup de choses depuis 2018. Vous avez attiré des dizaines de milliers de joueurs, vous avez levé plus de 700 millions de dollars, vous vous êtes lancés aux États-Unis… Est-ce qu’à l’époque vous pensiez en arriver là ?
Pour être honnête, on ne s’attendait évidemment pas à en être là. Nous avons fait beaucoup plus de choses que prévu. Ce qui est amusant, c’est que la seule chose qui n’a pas vraiment changé, c’est notre ambition. Elle est toujours intacte, elle est même plus forte que jamais : nous voulons vraiment créer le leader mondial du divertissement en permettant à tous les fans de sport d’être propriétaire d’une équipe et de faire tout ce qu’un propriétaire d’équipes peut faire dans la vie physique, c’est-à-dire acheter et vendre des joueurs, développer son club, gagner des trophées et des récompenses.
Qu’est-ce qui a été le plus dur en cinq ans ?
Je pense que quand vous prenez le chemin de l’innovation, en vous disant que vous n’allez pas copier, mais que vous allez tout inventer, vous vous exposez à de la difficulté à tous les niveaux.
Vous vous exposez à des difficultés technologiques, à des difficultés sur le produit, à des difficultés sur les partenariats, à des difficultés réglementaires, à des difficultés au niveau des ressources humaines, mais c’est aussi ce qui est challengeant. Ce qui est intéressant dans ce contexte, c’est de savoir se réinventer.
Évidemment que nous avons fait des erreurs, et il y en aura d’autres. Le plus important c’est d’apprendre de ses erreurs et de savoir réinventer son job. Il faut être curieux et humble.
Comme vous le soulignez, entreprendre n’est pas simple, surtout dans le Web3. Après 5 ans, quelle est la principale leçon que vous avez retenue ? Est-ce que ce ne serait pas l’importance de la résilience ?
Je dirais que la résilience est un pré-requis. Si vous n’avez pas de résilience, si vous n’avez pas une sorte de feu sacré en vous, une passion pour votre projet et pour votre communauté, alors vous n’y arriverez jamais. Si vous n’avez pas ça, il ne faut même pas y aller. Il faut vraiment avoir des convictions, et c’est ce qui vous permet d’être résilient, d’affronter les obstacles et de vous adapter.
Pour moi, la principale leçon est vraiment celle du focus. Il faut savoir à tout moment distiller les 2 ou 3 priorités de l’entreprise et du produit. J’ai beaucoup appris à ce niveau-là avec Sorare . Je pense qu’à un moment donné, nous avons un peu perdu le focus, et c’est ce que nous sommes en train de corriger.
Vous vous êtes lancé en 2018, pendant un autre Bear Market. Comment allez-vous financièrement ?
Nous avons lancé Sorare fin 2018, c’est-à-dire au milieu de l’une des pires périodes de la jeune histoire des cryptos. À l’époque, pas un seul fonds ne voulait entendre parler de nous.
Je me souviens en avoir contacté 150 à l’époque. J’ai pu échanger avec une cinquantaine d’entre eux. De mémoire, j’ai eu 48 non, un autre qui était partant, mais seulement si on avait un lead investor, bref c’était super compliqué. Tout ça pour vous dire qu’avec Adrien (Adrien Montfort est le cofondateur de Sorare, ndlr), nous savons ce que c’est que d’évoluer dans un contexte hostile. Nous sommes là depuis suffisamment longtemps pour savoir comment gérer les choses et prévoir les cycles baissiers.
Aujourd’hui, on parle beaucoup de la situation financière de l’industrie Web3, mais c’est en réalité compliqué pour tout le monde. Toute la Tech est sous pression. C’est quasiment impossible de lever des fonds. Beaucoup d’entreprises ont dû se séparer d’une partie de leurs équipes. Il faut faire attention au moindre euro, savoir faire un bon usage de ses fonds pour assurer la croissance de son entreprise à moyen-long terme.
Nous avons levé beaucoup d’argent en 2021 (680 millions de dollars, ndlr) et cet argent a servi à faire plusieurs choses : signer des partenariats avec les championnats, avec des ambassadeurs et recruter des top profils dans l’entreprise.
Ce qui vous a coûté le plus cher, ce sont les partenariats avec les ligues…
Nous avons signé des contrats avec des ligues en 2021-2022, au moment où les marchés étaient au plus haut. Depuis nous avons renégocié la plupart de ces contrats pour les rendre soutenables financièrement.
L’un de vos contrats emblématiques est celui avec la Premier League (football anglais). Sky News avait évoqué un contrat sur 4 ans pour un montant de 30 millions de livres annuels (35 millions d’euros). Avez-vous réussi à renégocier ce contrat ?
Je ne peux pas rentrer dans le détail des contrats, mais il y a eu beaucoup de chiffres fantaisistes. Le plus important est que ces contrats ont été renégociés et que les ligues sont là pour le très long terme. La Premier League n’a que 10 partenaires dont Sorare . Si vous enlevez Sorare, le partenaire le plus jeune, c’est “Electronic Arts”, qui est une société qui a une quarantaine d’années. Nous, nous n’avons que 5 ans, donc il faut se laisser du temps.
Les ligues sont actionnaires de Sorare et avec la renégociation des contrats elles le sont devenues encore plus. Nous sommes main dans la main avec elles. Les ligues croient beaucoup au projet. Il faut réaliser que nous avons un portefeuille de partenaires ultra-puissants. Aucune autre société n’a autant de partenaires que nous avec la Liga, La Bundesliga, la Premier league, la NBA… C’est un actif énorme.
Avec quelles ligues avez-vous eu des difficultés à renégocier ?
Je ne peux pas révéler la teneur de tous nos échanges. Ce que je peux dire, c’est que c’est dans l’intérêt de tout le monde que Sorare aille bien et que nous ayons les ressources financières pour développer le jeu. Tout le monde a intérêt à ce qu’il y ait un équilibre entre nous et les ligues.
Lorsque l’on parle des partenaires de Sorare, on parle des ligues, mais il y a aussi, et surtout, la communauté des joueurs. Aujourd’hui qui sont ces joueurs ?
L’utilisateur de Sorare reste un early adopter de la crypto. Ce sont globalement des gens éduqués avec de l’appétence pour le sport, plutôt européens et à 80% masculins. L’enjeu est de savoir comment on sort de ce cercle de premiers utilisateurs.
En attendant d’élargir votre audience, est-ce que vous avez le sentiment que les utilisateurs de Sorare sont satisfaits par le produit ? On entend de plus en plus de critiques…
Je suis très sensible à tout ce que la communauté peut dire. Depuis quelques mois, je suis beaucoup plus focus sur le produit, je fais des interviews utilisateurs et j’écoute beaucoup ce qu’il se dit. Je sais qu’il y a des choses à améliorer, j’en ai bien conscience.
Que faut-il améliorer ?
Il faut améliorer Sorare Pro, il faut revoir la structure des tournois, l’économie des récompenses. Nous avons commencé à travailler dessus et il va y avoir des annonces dans les semaines à venir. La question est de savoir comment impulser un changement positif pour la communauté sans pour autant être dans le bricolage. Le but est de faire quelque chose de pérenne.
L’un des points qui revient le plus dans les critiques est celui de la politique d’émission des cartes qui, en réalité, ne sont pas vraiment en quantité limitée puisque chaque année vous en émettez de nouvelles. Est-ce que vous entendez les critiques, surtout celles venant de joueurs qui sont là depuis des années ?
Nous allons bientôt annoncer des changements. Mais je veux aussi rappeler que nous avons toujours été transparents sur notre politique. C’est faux de penser que Sorare a la main sur le marché et que nous pouvons influencer le prix des cartes.
Il y a un certain pourcentage de cartes que nous donnons en récompense dans les tournois, et il y a aussi un pourcentage de cartes qu’il faut que l’on vende parce que c’est, aujourd’hui, notre seule source de revenus. Nous sommes les leaders du marché, nous sommes les premiers à le faire, donc je sais que tout n’est pas parfait, je l’entends et nous allons améliorer les choses.
Historiquement vous vous êtes bâtis autour du football, mais il y a un peu plus d’un an, vous vous êtes lancés sur d’autres sports aux États-Unis comme le basketball et le baseball. Comment se passe cette conquête de l’Ouest ? Vu d’Europe, on a l’impression que c’est plus compliqué que prévu…
Je n’avais encore jamais parlé de ce développement aux États-Unis et surtout du contexte dans lequel nous l’avons enclenché, mais je vais le faire ici. En fait quand nous avons signé en 2022, il y avait en face de nous plusieurs acteurs du divertissement et du sport. Je parle d’acteurs de cartes de collection physique. Nous étions donc face à un choix : la première option était une vision de long terme en se disant que nous voulions être le leader mondial, et pour être le leader mondial il faut avoir les sports américains. La seconde option était de se dire que ce n’était pas la priorité, et que nous devions les laisser passer. Le risque avec ce raisonnement, c’est que potentiellement, vous n’allez jamais les revoir passer, donc nous avons pris la première option !
Avec le recul, et quand vous voyez ce que cela a représenté en termes d’investissement, pensez-vous encore que c’était une bonne solution ?
Est-ce que c’était le bon moment ? Probablement non. Après notre vision est à long terme, donc je pense que c’était la bonne décision. Si je devais refaire ce choix, je le referais.
Ces produits américains sont nouveaux. Nous allons les améliorer. Nous avons pris un peu de retard, mais nous allons rattraper tout cela en 2024.
Dans un contexte de Bear Market, les États-Unis ont été un choix fort. Est-ce que vous n’avez pas un peu perdu le fil avec l’Europe et le football ?
Tous les choix stratégiques font réfléchir. Encore une fois, c’est une très bonne chose que nous nous soyons positionnés sur les sports américains . Nous avons renégocié les contrats avec des partenaires qui croient en nous. Mais vous savez, tout ça est normal. Il y a beaucoup d’enjeux et les relations entre les ligues et leurs partenaires ne sont jamais simples. Il faut simplement trouver le bon modus operandi.
Il y a juste un moment où nous avons trop laissé le produit américain dévié de ce que nous faisions avant, donc là nous sommes dans la phase de refocus et je m’en occupe personnellement. Il faut que le produit américain profite de ce que nous avons fait avec le football en Europe..
Combien avez-vous d’utilisateurs aux États-Unis ?
Une partie de nos utilisateurs américains sont déjà ceux qui jouent au football en Europe. Notre objectif est que cette base soit beaucoup plus importante, et nous allons le réussir grâce à une refonte de certains éléments comme les récompenses et une application mobile globale.
Cette application sera disponible sur iOS et Android au premier trimestre 2024. Nous avons besoin d’une application de qualité pour réaliser nos objectifs. C’est indispensable que tout Sorare, que ce soit la marketplace ou les lives pour suivre les matches, soient facile à utiliser sur mobile.
Il y a quelques semaines, vous avez publié un long post sur les réseaux sociaux, où vous avez expliqué, entre autres, que vous alliez mettre le paquet sur le gameplay. On serait tenté de dire “enfin” ! Plus sérieusement, pourquoi ne l’avez-vous pas fait avant ?
J’aime rappeler que quand on connaît une telle croissance, on peut être tenté de recruter des gens très expérimentés, qui ont l’habitude de gérer cela, mais les choses sont un peu plus compliquées que cela. Il faut aussi être sur le terrain.
Cela ne signifie pas qu’il faut être dans le micro-management, mais c’est important lorsqu’on est fondateur d’être en première ligne, parce que c’est vous qui connaissez très bien le produit. Il faut s’assurer que la vision est bien portée et personne ne peut le faire mieux que vous. C’est ce que j’ai voulu dire dans mon post sur le produit et le gameplay.
Cela fait 3 mois que je me suis vraiment replongé dans ces questions que j’avais un peu délaissées. Même quand il y aura quelqu’un à mes côtés, je vais rester sur le produit.
Beaucoup vous diront que ce n’est pas le rôle d’un CEO…
Si justement, le rôle du CEO est bien d’être au premier rang sur le produit et l’expérience utilisateur. Si vous voulez le meilleur produit, il faut que le CEO soit impliqué.
Je dis souvent que Sorare est encore un labyrinthe où il est compliqué de se retrouver. Nous n’avons pas construit un parcours à travers lequel nous prenons l’utilisateur par la main. C’est l’un de nos chantiers prioritaires. Nous avons commencé à travailler sur des niveaux pour les joueurs, mais il faut aller encore plus loin. Tous les joueurs ne doivent pas être dès le début exposés à la profondeur du jeu. Il faut y aller progressivement.
Quand est-ce que ces changements seront visibles ?
Ils arriveront progressivement. La première étape concerne l’application mobile, qui va arriver assez vite en 2024. C’est un sujet assez transversal.
Au niveau du produit, il y a Rivals, qui est un nouveau mode de jeu. C’est un Sorare Pro, mais pour le grand public. Nous sommes en train de le tester en mode fermé. L’idée est de permettre aux joueurs d’affronter rapidement un adversaire et de pouvoir gagner des récompenses. C’est un deuxième gros chantier.
Nous avons aussi évidemment Sorare Pro qui est le modèle existant et que nous devons simplifier et améliorer, notamment sur le système de récompenses. Là aussi nous devons faire des améliorations importantes.
En 2024, l’objectif est d’avoir un produit mobile, engageant pour les nouveaux joueurs et très qualitatif pour ceux qui y jouent depuis longtemps.
Comment faire pour toucher un nouveau public ?
Quand le produit sera plus mobile et engageant, nous pourrons nous appuyer sur nos ambassadeurs, Zidane, Mbappé et les autres (Rudy Gobert par exemple , ndlr) pour aller chercher un nouveau public. Il faut que le produit ait du sens pour ce nouveau public.
L’un des autres gros chantiers de Sorare est celui de la réglementation. La France est devenue il y a quelques mois le premier pays du monde à créer le statut de jeux à objets numériques monétisables (JONUM). Ce statut est toutefois provisoire. Comment voyez-vous les choses ?
Ce qui s’est passé est plutôt positif, même si le parcours parlementaire est encore loin d’être terminé. Il y a une commission mixte paritaire qui va arriver, il faut aussi attendre les décrets d’application.
Plus globalement, je pense que ce texte traduit la volonté du gouvernement de favoriser l’innovation tout en mettant, évidemment, des gardes fous. Nous avons bien conscience qu’étant donné la nouveauté de jeux comme Sorare , nous arrivons avec de nouveaux risques et qu’il faut encadrer ces risques tout en permettant l’innovation.
Certains acteurs comme Sorare auraient menacé de quitter la France si le statut de JONUM n’était pas créé. Est-ce vrai ?
Notre discours est le même depuis le début. Avant que nous installions Sorare en France, j’ai beaucoup voyagé pour rencontrer des régulateurs et expliquer ce que nous voulions faire et en quoi ça allait faire bouger les lignes et les modèles.
Notre approche a toujours été de dire que nous étions innovants et qu’il fallait de nouvelles règles. Nous voulons un cadre, mais un cadre équilibré. Nous n’avons jamais menacé qui que ce soit de quitter le territoire. Nous avons juste fait valoir notre position qui est la même depuis le premier jour.
Est-ce que vous pourriez rester en France même sans JONUM ?
Je suis très attaché à mon pays, je veux montrer que l’on peut construire des géants en France. C’est ce qui m’anime au quotidien.
Si vous aviez la possibilité de vous projeter en 2028. Où est-ce que vous aimeriez voir Sorare ?
J’aimerais bien que Sorare soit le leader mondial du divertissement dans le sport. On parle souvent de la tech, mais nous ne sommes pas des vendeurs de technologie. Nous vendons des cartes avec des super pouvoirs qui vous font entrer dans des compétitions et vous permettent de gagner des récompenses.
Notre objectif est de réunir les fans de sport autour du gaming. Le but est de construire une équipe et de la faire grandir en créant un pont avec le monde physique, en allant dans les stades et en rencontrant les professionnels.