The Big Whale : Cometh vient d’obtenir l’enregistrement renforcé PSAN (Prestataire de services sur actifs numériques) et se lance dans l’optimisation de trésorerie pour les entreprises. Quelle est la logique derrière ce pivot alors que vous êtes initialement un spécialiste de l’onboarding des entreprises dans le Web3 ?
Jérôme de Tychey : À l’origine, Cometh s’est positionné comme un expert de l’onboarding Web3, en simplifiant l’intégration des utilisateurs aux technologies blockchain. Nous avons rapidement constaté une demande croissante de la part d’entreprises Web2 souhaitant expérimenter avec le Web3, ainsi que de start-ups Web3 cherchant à élargir leur audience vers des utilisateurs Web2.
Cette double dynamique nous a amenés à travailler avec des entreprises emblématiques comme LVMH ou des acteurs innovants tels que Gnosis et Worldcoin. Mais un besoin commun a émergé : comprendre et se conformer à la réglementation, notamment le règlement européen MiCA (Markets in Crypto-Assets), pour éviter tout risque légal.
Ce constat a été le catalyseur de notre démarche pour devenir PSAN. L’objectif initial était de rassurer nos clients existants et futurs sur la conformité de nos solutions. Mais cela nous a également permis de réfléchir à de nouvelles opportunités. Par exemple, nous avons réalisé que les efforts consacrés à rendre l’onboarding utilisateur plus intuitif pouvaient être appliqués à des services dédiés aux entreprises, notamment dans la gestion et l’optimisation de leur trésorerie grâce à la blockchain.
Justement, en quoi votre service d’optimisation de trésorerie se distingue-t-il des solutions bancaires traditionnelles ?
Les solutions bancaires traditionnelles offrent principalement deux options : les dépôts à terme et les comptes d’épargne. Les dépôts à terme permettent de bloquer des fonds pour une durée donnée avec des rendements légèrement bonifiés, mais des pénalités importantes en cas de retrait anticipé.
Les comptes d’épargne, quant à eux, offrent des taux très faibles, bien souvent inférieurs à l’inflation. Ces produits manquent de flexibilité, ce qui peut poser problème aux entreprises ayant besoin de liquidités rapidement accessibles.
Notre solution repose sur l’utilisation de stablecoins, des actifs numériques adossés à des devises comme l’euro ou le dollar. Nous offrons un processus fluide pour convertir des euros en stablecoins via des partenaires comme Monerium. Une fois ces stablecoins obtenus, ils peuvent être placés sur des protocoles DeFi comme Aave, offrant des rendements bien supérieurs à ceux des banques, souvent sans pénalités ni durées minimales. En supprimant les intermédiaires, nous maximisons les rendements pour nos clients tout en conservant une flexibilité totale.
Beaucoup d’entreprises proposent des rendements à partir de cryptos. En quoi différez-vous ?
Tout d’abord, nous avons construit une infrastructure native à la blockchain, basée sur des “smart accounts”. Cela permet à chaque utilisateur d’avoir un compte on-chain dédié, contrairement à des solutions plus traditionnelles où les fonds sont souvent mutualisés dans un wallet centralisé. Cette architecture apporte une transparence accrue, une meilleure sécurité et, surtout, la possibilité pour l’utilisateur de reprendre entièrement le contrôle de ses actifs s’il le souhaite.
Ensuite, notre modèle se concentre sur une expérience simplifiée et sur des coûts opérationnels optimisés grâce à l’Account Abstraction (lire notre analyse) . Cela nous permet de réduire les frais liés à la gestion et au déploiement des fonds, ce qui se traduit par des rendements nets plus compétitifs pour nos clients.
Là où de nombreuses entreprises opèrent davantage comme un exchange centralisé qui offre des produits DeFi à travers une interface centralisée, nous fournissons une solution technique directement connectée à l’écosystème DeFi. Cette connexion directe élimine certains intermédiaires, réduit les frictions et améliore la flexibilité des entreprises dans la gestion de leurs actifs numériques.
Quelle est votre cible principale pour ce service ?
Notre cible initiale comprend les petites et moyennes entreprises, souvent en quête de solutions modernes et efficaces pour mieux gérer leur trésorerie. Ces structures disposent fréquemment de liquidités temporaires – comme des avances sur des projets ou des fonds en attente d’être investis – qu’elles aimeraient rentabiliser sans prendre trop de risques. Pour elles, notre solution est une manière simple de maximiser leurs rendements tout en accédant à la finance blockchain sans complexité.
Nous constatons également un intérêt croissant de la part de grandes entreprises, notamment celles ayant déjà exploré les cryptomonnaies à des fins expérimentales. Ces acteurs, souvent plus matures, envisagent désormais d’investir des montants significatifs dans des stablecoins pour diversifier leurs stratégies de gestion de trésorerie. Avec des directeurs financiers de plus en plus sensibilisés aux avantages de la DeFi, nous sommes bien positionnés pour répondre à cette demande.
Et quel est votre modèle économique pour ce service ?
Nous avons opté pour un modèle basé sur une commission prélevée sur les rendements générés par les utilisateurs. Concrètement, si un protocole comme Aave offre un rendement brut de 8 %, nous en retenons une petite partie, généralement de l’ordre de 0,3 à 0,4 %. Ce modèle garantit que nous ne sommes rémunérés que si nos clients bénéficient effectivement de rendements, ce qui aligne nos intérêts avec les leurs.
En retour, nous gérons l’ensemble de l’infrastructure technique, y compris les transactions on-chain, pour offrir une expérience aussi fluide que possible. Grâce à notre architecture optimisée, nous pouvons également maintenir des coûts d’exécution très compétitifs, même pour des entreprises qui débutent dans l’utilisation de la blockchain. Ce modèle nous permet d’être accessibles à un large éventail de clients, tout en garantissant une qualité de service élevée.
Votre produit repose sur des wallets custodials, contrairement à vos solutions habituelles qui sont non-custodials. Pourquoi ce choix ?
Nous avons fait ce choix pour répondre aux besoins spécifiques des entreprises, qui préfèrent souvent déléguer la gestion technique et la sécurité de leurs actifs à un tiers de confiance. Dans ce cadre, nous opérons comme signataire principal des transactions. Cela permet une gestion simplifiée tout en offrant un niveau de sécurité élevé grâce à l’utilisation de smart accounts dédiés, gérés via des solutions multisignatures.
Cependant, nous conservons une flexibilité importante : si une entreprise souhaite reprendre le contrôle de ses actifs, nous pouvons lui transférer l’intégralité des clés et des droits de gestion. Ce modèle hybride nous permet de combiner les avantages de la custodialité pour les entreprises avec la philosophie non-custodial qui reste au cœur de notre ADN.
Vous proposez des rendements “jusqu’à cinq fois supérieurs à ceux des banques”. Quels protocoles DeFi soutiennent ces performances, et comment garantissez-vous leur fiabilité ?
Actuellement, nous nous appuyons principalement sur Aave, un protocole DeFi bien établi et reconnu pour sa transparence et sa sécurité. Aave est largement utilisé dans l’écosystème, ce qui nous donne une grande confiance dans sa robustesse et sa capacité à offrir des rendements compétitifs. Les taux d’intérêt sur les stablecoins sur Aave oscillent généralement entre 5 % et 10 %, soit bien au-delà de ce que proposent les solutions bancaires traditionnelles comme les comptes d’épargne ou les dépôts à terme.
Pour garantir la fiabilité, nous combinons l’utilisation de ces protocoles éprouvés avec une architecture sécurisée de gestion des actifs. Tous les fonds sont conservés dans des smart accounts multisignatures, une solution reconnue par l’AMF comme conforme pour la conservation des actifs numériques. Nous avons également des processus internes rigoureux pour auditer et surveiller en permanence les protocoles que nous utilisons. Cela nous permet d’assurer à nos clients un niveau de sécurité optimal tout en maximisant les rendements qu’ils peuvent obtenir.
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Pourriez-vous proposer des rendements basés sur des vaults Morpho, qui aujourd'hui proposent des rendements annuels parfois supérieurs à 30 % ?
Les vaults comme ceux proposés par Morpho sont effectivement très attractifs. Ils représentent une opportunité intéressante pour les entreprises prêtes à explorer des stratégies de rendement plus sophistiquées. Cependant, leur intégration dans notre offre nécessiterait une analyse approfondie. Nous devons nous assurer que ces stratégies respectent les standards de sécurité et de transparence que nous avons définis, tout en restant conformes aux attentes des régulateurs comme l’AMF.
Proposer des rendements aussi élevés implique aussi de mieux informer les utilisateurs sur les risques potentiels. Contrairement aux rendements plus modérés d’un protocole comme Aave, les vaults complexes peuvent intégrer des éléments plus volatils ou dépendre de multiples facteurs de marché. Si nous décidons d’inclure ce type de solution, ce serait dans un cadre bien défini, avec des outils pédagogiques pour que les entreprises comprennent les mécanismes et les risques sous-jacents.
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Quels prestataires seront chargés de convertir les euros des entreprises en cryptos ?
Aujourd’hui, nous discutons principalement avec la start-up islandaise Monerium (qui émet le stablecoin régulé EURE). Cependant, ce choix n’est pas exclusif, et nous regardons d’autres prestataires pour identifier ceux qui offrent les meilleures solutions en termes de facilité d’onboarding, de liquidité et de fluidité des processus.
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Votre PSAN renforcé vous offre la possibilité de rapidement transformer cette licence en agrément MiCA, obligatoire pour opérer en Europe à partir de 2025. Quel est le calendrier ?
Dès l’obtention de notre PSAN renforcé, nous avons initié la conversion vers l’agrément MiCA. Contrairement à un enregistrement PSAN classique, notre statut renforcé atteste déjà de notre conformité aux principales exigences de MiCA. Cela nous place dans une position avantageuse, car nous avons anticipé les critères les plus stricts de cette nouvelle réglementation européenne.
Le guichet MiCA, géré par l’ESMA (l’Autorité européenne des marchés financiers), ouvrira officiellement en janvier 2025, et nous sommes prêts à soumettre notre dossier dès cette date. En théorie, le processus de conversion vers l’agrément MiCA peut être finalisé en 60 jours. Notre dossier est déjà robuste : il ne nous manque que des ajustements mineurs, comme certaines formalités administratives liées à notre structure. Nous espérons obtenir l’agrément rapidement et ainsi confirmer notre rôle de pionnier dans un cadre réglementaire clair et harmonisé.
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Où voyez-vous Cometh dans cinq ans ?
D’ici cinq ans, nous ambitionnons de devenir un leader des infrastructures de wallets pour entreprises. Avec l’arrivée de l’Account Abstraction sur Ethereum, les smart accounts vont révolutionner l’accès à la blockchain en simplifiant l’expérience utilisateur. Nous voulons être à l’avant-garde de cette évolution en fournissant des solutions scalables et intuitives pour des entreprises de toutes tailles.
Notre vision est de permettre à chaque entreprise de bénéficier des avantages de la blockchain sans avoir à en maîtriser les aspects techniques complexes. En nous positionnant comme un acteur clé de cette transition, nous espérons contribuer à une adoption massive et à une intégration fluide des technologies Web3 dans l’économie traditionnelle.
Cometh a levé 10 millions d’euros en 2022, pourriez-vous à nouveau solliciter des investisseurs pour financer votre développement ?
C’est effectivement envisageable, bien que nous ne soyons pas dans une situation d’urgence. Depuis notre levée, nous avons renforcé notre positionnement sur le marché et développé des produits qui suscitent de l’intérêt. Aujourd’hui, nous recevons des marques d’intérêt de la part de partenaires et d’investisseurs qui suivent notre trajectoire de près, ce qui nous permet de réfléchir stratégiquement à l’opportunité d’accélérer davantage.
Si nous décidons de lever des fonds, ce sera avec des objectifs précis : développer notre présence à l’international, notamment aux États-Unis, et renforcer nos capacités technologiques pour répondre à une demande croissante. Nous restons ouverts à des investisseurs étrangers, à condition qu’ils partagent notre vision à long terme. Notre priorité est de maintenir un équilibre entre croissance rapide et consolidation de nos bases, tout en restant fidèles à notre mission de simplifier l’accès à la blockchain pour les entreprises.