Avant de se lancer dans une explication détaillée de la DeFi, il faut bien comprendre les deux termes sous-jacents que sont la finance et la décentralisation.
La finance est un vaste concept qui se rapporte à la gestion de l’argent. Il prend en compte les dépenses, les emprunts mais aussi les recettes et les investissements. La finance désigne également un ensemble d’instruments, d’outils et de services utilisés pour manipuler cet argent.
En ce qui concerne le concept de décentralisation, il renvoie à l’idée de redonner du pouvoir aux personnes en bout de chaîne, dans le cas échéant, aux utilisateurs. En d’autres termes, le présupposé idéologique de la décentralisation rejette un système qui serait limité à quelques privilégiés et qui ne respecterait pas de facto l’idéal démocratique.
Prenons l’exemple inverse. Des plateformes comme Meta ou Youtube sont profondément centralisées. Seuls les développeurs employés par ces entreprises ont la possibilité d’opérer des changements sur les protocoles. Ce sont ces mêmes algorithmes qui définissent ou tout du moins conseillent ce que l’utilisateur va consulter. En d’autres termes, ces plateformes ont le contrôle sur les données de leurs utilisateurs. Bien que gratuites, ces géants du numérique exploitent ces données et les revendent aux publicitaires. En bref, si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit. C’est justement de ce schéma que la finance décentralisée veut se défaire en permettant à chaque utilisateur de retrouver le contrôle sur ses données, son argent et ses propriétés.
Pour faire simple, passer de l’ère de la CeFi (finance centralisée) à celui de la DeFi.
💡 Les concepts à maîtriser Blockchain : La blockchain est une base de donnée numérique. Elle fait office de livre d’or décentralisé, où sont enregistrées toutes les transactions financières. La DeFi se construit sur cette technologie et particulièrement sur l’écosystème Ethereum. Stablecoins : Les Stablecoins cherchent à maintenir une valeur constante d'un actif crypto par rapport à un actif traditionnel, le plus souvent le dollar américain. Un stablecoin est donc un token dont la valeur est équivalente à celle du dollar. 1 USDC/USDT/DAI = 1 dollar (même s’il y a parfois des petites variations lors de phases spéculatives intenses). Smart contract : programme développé sur une blockchain qui s’exécute si des conditions pré-établies sont remplies. DAO : De l’anglais Decentralized Autonomous Organization (Organisation autonome décentralisée), une DAO est une structure de gouvernance sans autorité centrale. Les membres de la DAO détiennent la plupart du temps un token de gouvernance qui leur permet d’exercer un droit de vote en tant que partie prenante de la communauté. Ces organisations sont le fer de lance de la DeFi. Plateformes d’échange : Ce sont des plateformes en ligne sur lesquels les utilisateurs peuvent échanger de la monnaie fiat (euros, dollars, etc.) contre de la cryptomonnaie ou alors des cryptos entre elles. Dans la DeFi, on parle de DEX (plateformes d’échange décentralisées). Ces DEX sont des places de marché pair-à-pair sur lesquelles les transactions se font directement entre les négociants en cryptomonnaies. Aucun opérateur de marché (comme le Nasdaq par exemple) n’est nécessaire pour certifier les flux financiers. Pour mieux comprendre la DeFi, il faut d’abord bien comprendre ce qu’est la finance traditionnelle La finance traditionnelle fonctionne sur un système profondément centralisé. La mise en place de services financiers requiert la validation de la part de nombreux intermédiaires ou d’une autorité centrale. La finance est historiquement un secteur très fermé et privé, dans lequel l’usager n’est pas informé de ce que la banque avec ses dépôts. En résumé, les banques sont basées sur un système administratif lourd qui manque parfois de transparence.
Prenons un exemple de la vie courante. Si vous souhaitez contracter un prêt, il vous faut renseigner de nombreuses informations personnelles. Cela passe par l’authentification de votre identité, de votre adresse, de vos documents fiscaux ainsi que de votre historique bancaire. Après avoir fourni ce dossier à votre banquier, vous êtes dans l’attente de validation de votre projet d’emprunt. Toutefois, rien ne vous assure que la banque vous accordera ce prêt. Elle est libre d’accepter le dossier de monsieur X et de refuser celui de monsieur Y, même si les deux personnes ont rigoureusement le même historique et les mêmes garanties. Et le tout sans justification. Il peut ainsi y avoir une certaine discrimination des emprunteurs.
C’est une autorité centrale, sur laquelle vous n’avez pas de droit de regard sur ce qui atteste que si vous êtes éligible ou non. Le processus à suivre pour réaliser un emprunt est lourd, tant d’un point de vue administratif que d’un point de vue financier. L’emprunteur doit passer par de nombreux intermédiaires : banquiers, avocats, notaires, assureurs. La charge administrative est importante puisque que chacun de ces acteurs perçoit des intérêts financiers dans l’opération. La conséquence première de ce système est l’allongement de la procédure. On parle généralement de plusieurs mois avant que l’emprunt ne soit effectif.
Mais concrètement qu'est-ce que la DeFi, cette finance décentralisée prête à changer les règles du jeu ? Dans sa forme la plus simple, la finance décentralisée est un pan de la finance construit sur une blockchain publique. La DeFi est composée de services financiers traditionnels (épargne, prêt, assurance, etc. ) développés à partir de cette technologie. Les applications de DeFi sont pour la plupart construites sur Ethereum, dont la cryptomonnaie est l’ether, la seconde plus importante derrière le Bitcoin. Mais on la retrouve sur la plupart des protocoles concurrents.
Par essence, Bitcoin n'a pas été conçu pour faire fonctionner des contrats intelligents sur sa blockchain. Le projet de Bitcoin réside dans le fait de créer un système de paiement de pair-à-pair sur lequel s’échange une cryptomonnaie. C'est à contre-courant que s'est construit Ethereum. La blockchain créée par Vitalik Buterin a été pensée pour devenir un "super ordinateur". Elle s'est rapidement imposée comme la blockchain de référence pour construire des applications de DeFi grâce au développement des smart contract. Selon DeFi Llama, la blockchain Ethereum représentait 97% du trafic lié à la DeFi début 2021, ce n’est plus que 58% en 2022. D’autres se sont développés et ont pris des parts de marché, c’est le cas de Tron, Binance Smart Chain, Avalanche ou encore Solana.
Les protocoles de DeFi créent des produits et des services financiers dans l’optique de développer un système financier ouvert. Pour atteindre cet objectif, la DeFi cherche à désintermédier le monde de la finance traditionnelle. À titre d’exemple, les applications de DeFi n’ont pas besoin des banques ou des brokers (”courtiers” en français), toutes les transactions sont automatisées grâce à l’utilisation de ces smart contracts.
Les protocoles de DeFi sont des relais dans les transferts de valeurs. Leur but est simple, rendre l’échange de pair-à-pair, le plus simple et sécurisé possible. Toutefois, la DeFi est une branche de la finance et n’a pas vocation à remplacer le système traditionnel. L’idée est de proposer une alternative, plus transparente aux utilisateurs.
Pour donner un cas plus concret, les emprunts en DeFi fonctionnent de la même manière qu’en finance traditionnelle. La différence principale concerne la transparence, les intermédiaires et les garanties du prêt. Historiquement, lorsqu’un individu emprunte pour acheter une maison, c’est ce même bien qui sert de garantie. Dans le cas où cet individu arrêterait de rembourser le prêt, la banque pourrait saisir la maison.
En DeFi, le processus de dépôt de garantie consiste à déposer des cryptomonnaies dont la valeur est supérieure ou égale au montant du prêt. On parle alors de placer de la cryptomonnaie en collatéral (”en garantie” en français). Ce qu’il faut néanmoins comprendre, c’est que ces cryptos ne sont en aucun cas vendues. Vous conservez vos cryptomonnaies, elles ne sont qu’une garantie de votre solvabilité. Si vous ne remboursez pas, vous ne pouvez les récupérer.
Comment la DeFi va-t-elle redéfinir les services financiers ? La finance décentralisée rime avec opportunité.
L’innovation apportée par la DeFi remet en question une partie de la finance traditionnelle. Elle permet notamment de donner un accès à des services financiers à quiconque dispose d’une connexion internet. Dans un monde dans lequel 63% de la population - quelque 4,9 milliards d’individus - dispose d’un accès au web selon la CIA, ce n’est pas négligeable. La dimension idéologique de démocratisation inhérente au “World Wide Web” prend alors tout son sens. À contrario, la Banque mondiale estime que 1,7 milliard d’individus n’ont pas de compte bancaire. La DeFi pourrait ainsi combler un manque laissé par la finance traditionnelle auprès des populations non-bancarisées.
La DeFi est attractive dans le sens où elle fait la promesse d’assurer un système dans lequel les utilisateurs s’affranchissent des intermédiaires financiers qui collectent des frais sur chaque transaction. Ici, ce sont les utilisateurs eux-mêmes qui les collectent (et ces derniers sont extrêmement modiques).
L’innovation première réside effectivement dans la phase d’enpowerment des utilisateurs qui, grâce à la détention de jeton de gouvernance ont la possibilité de donner leur avis sur la politique communautaire à adopter. Vous l’aurez compris, l’un des points qui donne sa singularité à la DeFi est l’utilisation de cryptomonnaies. L’ether est la principale crypto utilisée, mais de très nombreux protocoles ont développé leurs jetons de gouvernance afin de rassembler leur communauté et de leur permettre d’influer sur le futur de la DAO. Bien entendu, ces cas de figure s’opèrent à une échelle réduite, mais une DAO comme celle du protocole d’emprunt Aave regroupe une communauté de plus de 120.000 détenteurs de jetons.
Les protocoles DeFi sont développés en open source, cela signifie que les développeurs du monde entier ont l’opportunité d’améliorer les produits et les services financiers proposés. Pour faire simple, quiconque propose un changement dans la nature d’un protocole de DeFi peut voir sa proposition entrer en vigueur si la DAO a décidé de voter en sa faveur. C’est un changement majeur vers l’adoption d’une société où l’utilisateur est au centre du système financier. Le citoyen n’est plus un utilisateur passif des services financiers, il en devient partie prenante.
Dans le même sens, la DeFi se veut non-custodial , c’est-à-dire que vous restez en permanence propriétaire de vos fonds même s’ils sont utilisés dans un service. En d’autres termes, aucun tiers ne peut s’emparer de vos fonds sans votre autorisation. La meilleur illustration pour donner du crédit à ce système est l’effondrement de Celsius . La plateforme américaine fonctionnait en “custody” (conservation pour le compte des clients) et a bloqué arbitrairement les fonds de ses utilisateurs indéfiniment suite au crash de Terra/UST . Actuellement, tous les clients n’ont pas encore été remboursé. En cela, Celsius doit être présentée comme une société de CeFi (finance centralisée) même si elle évolue dans le secteur crypto.
En revanche, lorsque que vous utilisez un protocole de DeFi non custodial , vos fonds ne peuvent être utilisés que si et seulement si le smart contract rencontre les conditions préalables à son exécution. Pour faire simple, vos fonds ne sont jamais utilisés sans votre consentement. Le développement de ce self-custody - synonyme de non custodial - participe à la décentralisation de la finance. Bien que la finance décentralisée apparaisse comme révolutionnaire, il existe de nombreux freins à son adoption de masse.
Quelles sont les challenges pour la DeFi ? Le premier est d’ordre financier. Construire sur Ethereum a de nombreux avantages, mais l’un de ses inconvénients est le prix élevé des frais de transaction. En cas de congestion du réseau, les utilisateurs peuvent être amenés à payer des frais de transactions particulièrement élevés. Les développeurs réfléchissent à réduire ce problème, et cela passe notamment par le développement de sur-couches pour la blockchain Ethereum. On parle de layer 2.
C’est toute la problématique de scalabilité dont il est question. Comment le réseau sur lequel se construisent les applications de finance décentralisée s’adaptent à la demande des utilisateurs, le tout en conservant un réseau sécurisé, instantané et peu cher.
La DeFi peut également être utilisée par des individus malintentionnés. D’après un rapport Chainalysis consacré à l’utilisation des cryptos à des fins criminelles, des portefeuilles marqués comme “illicites” ont envoyé 17% de leurs fonds via les protocoles DeFi en 2021. C’est une augmentation de 1964 % par rapport aux niveaux de 2020. Certaines applications de finance décentralisée (comme Tornado Cash) sont aussi un moyen de blanchir de l’argent pour des organisations peu scrupuleuses. Cela nuit drastiquement à l’image de la finance décentralisée, notamment vis-à-vis des institutions financières établies.
En parlant de sécurité, on ne peut parler de la DeFi sans soulever l’immaturité de la technologie. L’industrie a déjà enregistré de nombreux piratages qui ont entraîné la perte de centaines de millions de dollar. L’écosystème de la finance décentralisée est jeune et connaît des failles que les hackers ne se privent pas d’exploiter. Selon Chainalysis, près de deux milliards de dollars ont été volés dans l’univers crypto, dont 97% via des applications de la DeFi. Les failles proviennent de vulnérabilités dans certains smart contract, qui permettent aux pirates de détourner de grandes quantités de liquidité.
Les failles ont eu pour conséquence d’offrir une image altérée de ce qu’est réellement la finance décentralisée. Cela se traduit par une frilosité des banques vis-à-vis du secteur, ce qui constitue l’un des obstacles les plus importants au développement de la DeFi. Pourtant, le système d’échange et de transactions propre à la DeFi fonctionne très bien. Il y a de plus en plus de progrès, ce qui entraîne une augmentation du nombre d’utilisateurs. Le seul hic concerne la passerelle de l’écosystème DeFi à la finance traditionnelle, des cryptomonnaies aux monnaies fiat. En effet, au moment de sortir cet argent injecté dans les protocoles de DeFi, les banques sont particulièrement suspicieuses. Dans le cadre des politiques d’Anti Money Laundering (lutte contre le blanchiment d’argent), elles signalent à l’autorité compétente - le TRACFIN en France (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), toute transaction douteuse.
C’est pourquoi l’éducation est un challenge en marge de la DeFi. Bien que certains services proposés par les protocoles de DeFi soient innovants, si les citoyens ne sont pas éclairés et acculturés à ce nouvel internet, la finance décentralisée pourrait ne jamais être adoptée massivement. La DeFi en est à ses prémices et il est nécessaire de s’éduquer pour comprendre comment les protocoles fonctionnent afin d’en optimiser l’utilisation.
Un exemple concret de DeFi pour bien comprendre : Aave par la communauté The Big Whale. Lors d’une conférence Ethereum, nous avons eu l’occasion de rencontrer une personne qui avait emprunté de l’argent en DeFi pour financer les travaux de sa maison. Les banques lui avaient toujours refusé son prêt, car elles ne l’estimaient pas capables de le rembourser.
Précision : l’individu en question est handicapé et cela a particulièrement compliqué sa demande. Mais avec la DeFi, il n’y a pas de discrimination, car elle fonctionne avec des smart contracts et sans facteur humain. Cela implique une seule chose, l’emprunteur doit être en capacité de placer des cryptomonnaies en collatéral de son prêt. Pour faire simple, l’origine, la couleur de peau, le statut socioprofessionnel ou encore la santé des utilisateurs n’entre pas en compte dans le processus d’emprunt. Il est uniquement nécessaire d’avoir une garantie en cryptomonnaie.
C’est pourquoi cette personne a décidé de se tourner vers la finance décentralisée. Il a utilisé le protocole Aave sur lequel il a placé ses ethers en garantie afin d’emprunter la somme équivalente en stablecoin dollar. Il a ainsi pu financer ses travaux rapidement en évitant de longues démarches administratives. Il a ensuite transféré ses stablecoins dollars en euros pour payer ses travaux. La DeFi semble être une solution magique à la finance traditionnelle, mais est-ce vraiment le cas ?
Non, car il se pourrait que ce soit plus complexe dans d’autres cas. En effet, le fisc qui découvre un versement en euros depuis une plateforme de change crypto n’admet généralement pas que cette entrée d’argent provienne d’une ligne de crédit, mais plutôt d’une plus-value enregistrée sur les marchés cryptos. En effet, il est probable que le fisc l’interprète comme un moyen d’encaisser des retours sur investissement et impose une taxation (30% de la plus-value, ou 30% du montant encaissé si le contribuable n’est pas capable de justifier ses opérations).
Morale de l’histoire : il est possible d’emprunter en DeFi par quiconque souhaite le faire, mais la démarche pour transférer de la cryptomonnaie en euro ou en dollar est compliquée par le fisc (voire la banque si celle-ci ne veut pas que ses clients touchent aux cryptos). C’est pourquoi la majorité des utilisateurs de DeFi s’en servent pour faire du rendement avec leurs cryptos, sans pour autant encaisser leurs bénéfices.
Tout reste donc à faire, mais l’avenir promet d’être passionnant.