The Big Whale : Bonjour à tous, j'ai aujourd'hui le plaisir d'accueillir Paolo Ardoino, CEO de Tether, l'émetteur du plus grand stablecoin du marché, l'USDT. Ce stablecoin inspire à la fois admiration et méfiance. Aujourd'hui, nous allons aborder ces sujets ainsi que d'autres thèmes liés à l'avenir de Tether. Mais avant tout, Paolo, comment allez-vous ?
Paolo Ardoino : Je vais très bien, merci de me recevoir. J'apprécie toujours nos discussions, la dernière fois c'était lors de la Paris Blockchain Week (lire notre précédente interview).
Exactement, c’était en avril de cette année. C’est l’occasion idéale, ce podcast, pour obtenir des nouvelles de Tether, qui, comme l’ensemble de l’écosystème crypto, continue d’avancer. Nous avons beaucoup de sujets à couvrir aujourd’hui : la feuille de route de Tether, les régulations à venir et bien plus encore. Je tiens également à rappeler à notre audience que cette semaine, The Big Whale consacre une série spéciale aux stablecoins, ce qui rend cette interview encore plus pertinente. Pour commencer, Paolo, parlons du dernier projet de Tether : le lancement du stablecoin indexé sur le dirham des Émirats arabes unis. Pourquoi avoir choisi cette devise après le dollar et l’euro ?
Le dirham des Émirats arabes unis (UAE Dirham) est une monnaie particulièrement intéressante pour plusieurs raisons. Chez Tether, nous avons débuté avec l’USDT, ensuite nous avons tenté l’euro, le peso mexicain et le yuan offshore chinois, ainsi que Tether Gold. En termes de succès, l’USDT est clairement en tête, suivi de Tether Gold, et ensuite l’euro Tether, que nous avons lancé en 2018.
L’un des enseignements que nous avons tirés au fil des années est que les stablecoins sont beaucoup plus puissants lorsqu'ils sont utilisés en dehors du pays dont ils reproduisent la monnaie nationale. Par exemple, l’USDT est beaucoup plus utilisé en dehors des États-Unis. Je fais souvent l'analogie que c’est comme essayer de vendre un seau de glace à un esquimau ! Dans les pays à forte inflation, ou ceux où l'accès au système bancaire est limité, l’USDT répond à un besoin criant.
Maintenant, en ce qui concerne le dirham des Émirats arabes unis, nous avons observé une utilisation croissante de cette devise pour les envois de fonds, notamment dans les couloirs de remises d’argent entre l’Inde, l’Asie du Sud-Est et les Émirats. Abu Dhabi et Dubaï sont devenus des hubs mondiaux de la finance, attirant des traders de matières premières, des fonds spéculatifs et bien plus encore. Le dirham est de plus en plus utilisé pour les paiements et les transferts de fonds, ce qui en fait un choix logique pour lancer un nouveau stablecoin.
De plus, le dirham est indexé sur le dollar américain, offrant ainsi une stabilité similaire, tout en offrant une alternative monétaire intéressante. Je suis convaincu que ce stablecoin pourrait devenir l'un des plus populaires de Tether.
Pensez-vous qu’un jour, toutes les devises auront leur propre stablecoin ? De plus en plus de banques, y compris certaines grandes institutions, estiment qu'il y aura une multitude de stablecoins dans les années à venir. Croyez-vous que chaque monnaie nationale finira par avoir son stablecoin ?
Il est important de faire la distinction entre les stablecoins émis par des entreprises privées et ceux émis par des gouvernements, appelés monnaies numériques de banque centrale (MNBC). De nombreux gouvernements envisagent de lancer leur propre MNBC, comme l'Union européenne avec le projet d'euro numérique. Cependant, il est peu probable qu’une entreprise privée émette des stablecoins pour toutes les devises du monde, car les coûts opérationnels et de conformité seraient trop élevés.
Chez Tether, nous travaillons déjà avec 140 agences de régulation à travers 40 pays. Imaginez devoir gérer ces relations pour 100 devises différentes ! Cela serait presque impossible à gérer sur le plan opérationnel. Il est plus probable que certaines devises nationales spécifiques, avec une demande mondiale plus forte, voient l'émission de stablecoins par des entreprises privées, tandis que d'autres monnaies seront couvertes par des MNBC.
Justement, en parlant de MNBC, certains acteurs européens du secteur ne croient pas à l’avenir des MNBC pour le grand public. Ils estiment que les stablecoins privés, régulés par les banques centrales, seraient plus compétitifs et efficaces. Quelle est votre opinion au sujet des MNBC, notamment en Europe et aux États-Unis ?
Je dois dire que je suis assez sceptique vis-à-vis des MNBC. Je comprends que cela puisse paraître biaisé, car les MNBC pourraient être vues comme des concurrentes aux stablecoins privés. Mais le véritable problème avec les MNBC, c’est qu’elles représentent une forme de surveillance centralisée sans précédent. Avec une MNBC, un gouvernement pourrait potentiellement avoir accès à toutes les transactions effectuées par ses citoyens, alors qu'aujourd'hui, une transaction par carte bancaire reste généralement privée, sauf en cas d'enquête judiciaire.
Les gouvernements pourraient justifier cela en disant qu'il y aura des couches de confidentialité, mais en réalité, cette confidentialité serait limitée à ce que le gouvernement juge acceptable. Cela pourrait très facilement glisser vers un contrôle total des comportements économiques des citoyens. C'est pourquoi je pense que les stablecoins privés, bien régulés, représentent une option plus sûre pour la protection des libertés individuelles.
Selon vous, les stablecoins sont-ils donc appelés à devenir la forme principale de monnaie numérique à l’avenir ?
Absolument. Je pense que les stablecoins, comme l'USDT, sont déjà devenus une sorte de dollar numérique pour de nombreux pays émergents. Leur adoption a été massive, non seulement pour le trading de cryptomonnaies, mais aussi pour les transactions quotidiennes, en particulier dans les pays où les monnaies locales sont sujettes à une forte inflation. À long terme, je pense que les stablecoins continueront de jouer un rôle clé dans l’économie numérique mondiale.
Cela nous amène à un autre sujet : la diversification des réserves de Tether. Vous détenez une grande partie de vos réserves en bons du Trésor américain. Avec les perspectives de baisse des taux d'intérêt, avez-vous un plan pour diversifier davantage ces réserves ?
Effectivement, nous détenons actuellement environ 100 milliards de dollars en bons du Trésor américain, ce qui nous place au 18e rang mondial parmi les détenteurs de la dette américaines. Même avec une éventuelle baisse des taux, je pense que les taux d'intérêt resteront dans une fourchette entre 2 % et 6 % dans les années à venir, cela nous assurera toujours un revenu considérable. Même si les taux baissent à 2 %, ce qui représenterait encore 2 milliards de dollars de revenus par an pour nous.
En parallèle, nous diversifions nos investissements. Par exemple, nous investissons dans le minage de Bitcoin, l'intelligence artificielle et le développement des télécommunications. Nous pensons qu'il est crucial de diversifier nos sources de revenus tout en restant solidement ancrés dans notre activité principale de stablecoins.
Envisagez-vous d'augmenter votre exposition au Bitcoin ou même à Ethereum à l'avenir ?
Nous avons effectivement annoncé que nous achetions jusqu'à 15 % de nos bénéfices nets trimestriels en Bitcoin, et nous prévoyons de continuer cette stratégie. Concernant Ethereum, j’ai quelques réserves. Contrairement au Bitcoin, dont l'offre totale est fixée à 21 millions, l'offre d’Ethereum semble changer régulièrement. Cela introduit un certain degré d'incertitude que je préfère éviter en tant qu'entreprise.
Passons maintenant à la régulation. Vous avez récemment recruté Jesse Spiro, un ancien de Chainalysis et de PayPal, pour gérer les affaires publiques. Que signifie ce recrutement pour Tether ?
Le recrutement de Jesse est très important pour nous. Nous nous développons dans plusieurs secteurs au-delà des stablecoins, comme l'intelligence artificielle et les télécommunications, et chaque secteur est de plus en plus réglementé. Jesse sera donc essentiel pour nous aider à naviguer dans ces eaux réglementaires complexes. Il ne se concentrera pas uniquement sur l’USDT, mais sur l’ensemble des activités de Tether.
Dans un communiqué, vous avez mentionné que ce recrutement témoignait de votre engagement envers l'innovation responsable. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là ?
L'innovation responsable signifie que nous devons comprendre l’impact que nos produits auront sur la société. Nous voulons que l'USDT, et tous les produits que nous développons, soient utilisés de manière positive et bénéfique pour le plus grand nombre. Nous travaillons en étroite collaboration avec Chainalysis et d'autres partenaires pour surveiller l’utilisation de nos stablecoins et garantir que nous restons du bon côté des régulations.
En parlant de régulation, quelle est actuellement la nature de vos relations avec les autorités américaines ?
Nous avons une relation de collaboration volontaire avec les autorités américaines, ce qui est très important. Nous avons, par exemple, intégré des agences comme le Secret Service et le FBI pour faciliter le gel des fonds en cas d'activités criminelles. Tether est régulièrement reconnu pour sa coopération avec les autorités, ce dont je suis très fier. Toutefois, nous restons souvent mal compris, ce qui alimente certaines controverses autour de notre entreprise.
Vous dites que Tether est souvent mal compris et que cela alimente des controverses. Pourtant, malgré vos efforts, Tether est régulièrement pointé du doigt. Qu'est-ce que vous inspire que le fait Tether et Binance sont souvent considérés comme les "mauvais élèves" de l’écosystème crypto ?
C’est vrai que Tether est souvent critiqué, parfois injustement. Mais je ne pense pas que l’on puisse vraiment être fatigué de ce genre de choses. En fait, ces controverses nous ont permis de devenir meilleurs. Cela peut sembler paradoxal, mais les critiques constantes ont poussé l’équipe à redoubler d’efforts, à être encore plus transparente, à améliorer nos processus et à prouver que Tether est à la hauteur.
Nous avons fait l'objet d'une attention immense de la part des régulateurs, des médias et même de certains concurrents. Mais nous avons utilisé ces moments difficiles pour renforcer notre position sur le marché et perfectionner nos mécanismes de conformité. Sans ces critiques et cette obsession autour de Tether, nous ne serions peut-être pas devenus ce que nous sommes aujourd'hui. Donc, d’une certaine manière, tout ce feu nourri nous a permis de nous améliorer.
Vous avez mentionné que certaines entreprises ont essayé de vous discréditer, notamment avec des campagnes publicitaires à New York. Pourquoi, selon vous, certains concurrents en viennent à utiliser ce genre de pratiques contre Tether ?
Oui, nous avons vu certaines campagnes de dénigrement, y compris à New York, qui visaient directement Tether. Ces campagnes mettaient en cause notre transparence et notre conformité, mais elles étaient clairement orchestrées par des concurrents qui essayent de nous affaiblir. C’est assez triste, car cela montre que certaines entreprises sont prêtes à tout pour tenter de récupérer des parts de marché.
Si vous devez en arriver à diffamer un concurrent pour réussir, cela en dit long sur vos méthodes et sur vos valeurs. Pour moi, cela démontre un manque de confiance en leur propre produit ou service. Nous avons préféré ne pas répondre à ces attaques de manière agressive, mais au contraire, nous concentrer sur nos efforts pour continuer à innover et à apporter de la valeur à nos utilisateurs. C’est une approche à long terme qui, je pense, porte ses fruits.
Tether est régulièrement décrit comme l’un des plus grands détenteurs de dette américaine grâce à vos réserves de trésorerie en bons du Trésor. Cela rend-il Tether crucial pour l'économie américaine, au point que même les régulateurs hésiteraient à vous sanctionner ?
Il est indéniable que Tether joue un rôle important dans la finance mondiale, et en particulier dans la diffusion du dollar américain à travers le monde. L’USDT est utilisé par des millions de personnes, en particulier dans les pays émergents où l’accès au système bancaire traditionnel est limité ou où la monnaie locale est très volatile. Par ce biais, nous contribuons à étendre l'influence du dollar dans ces régions.
De plus, comme vous l'avez souligné, nous détenons une part significative de la dette américaine à travers nos réserves en bons du Trésor. Cela renforce notre position et, d’une certaine manière, cela montre que Tether participe indirectement à soutenir le système économique américain. Toutefois, je ne pense pas que cela nous rende intouchables. Nous devons toujours respecter les lois et régulations, mais je crois que notre rôle est compris et, à certains égards, apprécié par les autorités américaines.
Revenons à la régulation. Vous avez récemment engagé Jesse Spiro, ce qui montre que vous préparez activement Tether à répondre aux nouvelles exigences réglementaires. Cela nous amène à discuter de la situation en Europe et plus particulièrement du règlement MiCA (Market in Crypto-Assets). Lors de notre dernière conversation en avril, vous avez exprimé des réserves sur le fait que Tether se conforme à MiCA. Depuis, avez-vous progressé dans vos discussions avec les régulateurs européens ? Allons-nous voir Tether se conformer à MiCA d’ici janvier 2025 ?
Nous continuons d’examiner de près le cadre réglementaire de MiCA et les implications qu'il pourrait avoir pour Tether. Pour être totalement transparent, nous avons encore des préoccupations par rapport à certaines exigences de la réglementation, notamment l'obligation de maintenir 60 % des réserves en liquidités non assurées dans des banques européennes. C'est un sujet sensible car cela pourrait créer des risques systémiques non seulement pour les stablecoins, mais aussi pour les banques elles-mêmes. Imaginez un stablecoin ayant une capitalisation de 10 milliards d’euros : il serait contraint de maintenir 6 milliards d’euros dans des comptes bancaires non assurés. Si ces fonds venaient à être retirés rapidement, cela pourrait potentiellement mettre en péril la stabilité des banques concernées.
Depuis notre dernière interview, certains de nos concurrents ont obtenu des licences sous MiCA, mais même eux ont exprimé des inquiétudes similaires aux nôtres une fois qu’ils ont pris conscience des risques associés à cette régulation. Nous voulons continuer à discuter avec les régulateurs pour trouver des solutions qui protègent à la fois les utilisateurs de stablecoins et le système financier européen.
Pensez-vous que les régulateurs européens sont prêts à revoir certaines dispositions de MiCA pour éviter ces risques systémiques ?
Je l’espère. Nous sommes encore en discussion avec eux, et nous savons que d’autres entreprises et acteurs de l’industrie expriment également leurs préoccupations. Il est possible que des ajustements soient faits avant l’entrée en vigueur complète de MiCA en janvier 2025, mais il est clair que ces processus sont longs et complexes.
Je pense qu'il est dans l'intérêt de tous, y compris des régulateurs, de veiller à ce que la réglementation ne crée pas plus de risques qu'elle n'en résout. Nous voulons un cadre qui protège les utilisateurs, mais qui soit également viable pour les émetteurs de stablecoins et les institutions financières.
Sur le marché européen, les stablecoins euro semblent enfin trouver son rythme, notamment avec plusieurs banques et entreprises intéressées par cette technologie. Quelle est la stratégie de Tether pour votre stablecoin indexé sur l’euro, l'EURT ?
L'EURT a certes un potentiel, mais il ne s'agit pas du même marché que celui de l'USDT. L’USDT est principalement utilisé dans les pays émergents comme un outil contre l'inflation et pour pallier l'absence de services bancaires fiables. L’euro, en revanche, a une portée plus restreinte en dehors de l’Europe. Si vous allez en Argentine ou au Vietnam, par exemple, la demande pour l'euro est quasiment inexistante comparée à celle pour le dollar américain.
Cela dit, en Europe, l’EURT pourrait jouer un rôle clé dans le secteur financier traditionnel, en particulier pour les institutions financières cherchant des solutions de règlement plus rapides et plus efficaces. C’est pourquoi nous discutons actuellement avec plusieurs banques et acteurs financiers pour explorer des cas d'utilisation spécifiques à l’Europe. Nous avons également développé une plateforme de tokenisation qui pourrait être utilisée par des institutions européennes pour émettre des versions tokenisées de l’euro, en utilisant notre technologie.
Vous avez récemment émis un milliard d'USDT sur la blockchain, ce qui a suscité beaucoup d'attention sur les réseaux sociaux. Pouvez-vous expliquer comment fonctionne le processus de minting chez Tether et quels types de clients achètent ces montants importants ?
Il y a souvent une incompréhension sur le processus de minting. Lorsque nous émettons de nouveaux USDT, comme ce milliard de dollars dont tu parles, cela ne signifie pas nécessairement qu’un client a acheté un milliard de dollars en USDT d’un coup. Ce que nous faisons, c’est que nous créons ces tokens et nous les stockons dans un portefeuille de trésorerie interne à Tether, prêt à être utilisé.
Ces fonds ne sont pas comptabilisés comme des passifs tant qu'ils ne sont pas effectivement achetés par un client. Cela nous permet de réagir rapidement aux demandes des clients sans avoir à émettre de nouveaux tokens à chaque transaction. Lorsqu’un client veut acheter des USDT, nous puisons dans ce stock de trésorerie et émettons les tokens directement depuis ce portefeuille. Si la demande de rachat dépasse les tokens disponibles dans notre trésorerie, nous brûlons les tokens restants pour maintenir l’équilibre.
Vous êtes dans cet espace depuis plus de 10 ans maintenant. Selon vous, quels sont les obstacles qui empêchent encore une adoption massive des stablecoins et plus largement de la crypto-monnaie ?
Je pense que les stablecoins sont déjà l'une des meilleures applications de la blockchain en termes d'adoption grand public. Ils ne représentent pas un concept entièrement nouveau, mais plutôt une amélioration des systèmes financiers existants, en permettant des transactions plus rapides, moins coûteuses et accessibles à une plus grande échelle. C'est un peu comme un PayPal ou un Venmo, mais sur la blockchain.
Cependant, il reste encore des barrières, notamment en termes de régulation et d’éducation. Les gens doivent comprendre que les stablecoins ne sont pas seulement des outils pour les traders de cryptomonnaies, mais qu'ils peuvent aussi transformer la manière dont l'argent circule à l’échelle mondiale, en particulier dans les régions où l'accès aux banques est limité.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui pourrait freiner cette adoption de manière plus générale ?
Du côté de l'éducation, c'est un vrai défi. Nous sommes dans un domaine où beaucoup de gens, surtout dans les pays développés, sont habitués à utiliser des systèmes financiers établis comme les banques, les cartes de crédit ou encore des services comme PayPal. Pour eux, ces services sont suffisants, ils ne voient donc pas l’intérêt immédiat de se tourner vers des stablecoins ou d’autres cryptomonnaies. Cela demande donc un effort important d'éducation pour expliquer non seulement ce qu'est un stablecoin, mais aussi pourquoi il pourrait leur être bénéfique. C’est l’un des points cruciaux sur lesquels nous devons travailler, parce que beaucoup de gens ne réalisent pas encore que les cryptomonnaies, et particulièrement les stablecoins, peuvent offrir plus de sécurité, de rapidité et de liberté dans la gestion de leurs finances, surtout dans des contextes internationaux ou dans les économies émergentes.
Ensuite, la régulation reste un obstacle important. Même si les régulateurs progressent dans de nombreux pays, il y a encore beaucoup d’incertitudes autour des stablecoins et des cryptomonnaies en général. Prenons l’exemple de l’Europe avec le règlement MiCA. Comme je l’ai mentionné, il y a encore beaucoup de zones grises dans la régulation qui pourraient créer des risques pour les banques et les émetteurs de stablecoins, au lieu de les protéger. C’est un problème non seulement pour les entreprises comme la nôtre, mais aussi pour l’écosystème crypto dans son ensemble, car des régulations mal conçues peuvent freiner l’innovation et dissuader les nouveaux entrants.
Je crois aussi qu’il y a un besoin de cohérence à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, chaque pays ou région établit ses propres règles concernant les cryptomonnaies, et cela crée beaucoup de confusion pour les entreprises qui opèrent à l’international. Si nous pouvions avoir un cadre global ou au moins des normes plus alignées entre les grandes juridictions, cela rendrait la gestion des stablecoins et de la crypto en général beaucoup plus fluide. Ce manque de standardisation freine énormément l’adoption car les entreprises doivent naviguer à travers un labyrinthe de régulations parfois contradictoires d’un pays à l’autre.
Vous parlez de régulation mondiale et de la nécessité d’avoir des normes plus cohérentes entre les pays. Pensez-vous que nous pourrions arriver à un consensus mondial sur la régulation des cryptomonnaies dans un avenir proche ?
Honnêtement, je pense que nous sommes encore loin d’un véritable consensus mondial, mais je crois que c'est une direction vers laquelle nous devons tendre. Aujourd’hui, il est évident que chaque région avance à son propre rythme en matière de régulation. Aux États-Unis, par exemple, il y a beaucoup d’incertitude sur ce que les régulateurs vont faire. On a la SEC (Securities and Exchange Commission) d’un côté, qui s’oppose à certaines initiatives, et d’un autre côté, des discussions au Congrès sur la nécessité de créer des cadres juridiques spécifiques pour les cryptomonnaies. En Europe, nous avons MiCA, qui, même s'il présente certains défis, est l’une des régulations les plus avancées et les plus structurées à ce jour. En Asie, c’est encore un autre monde, avec certains pays qui adoptent une approche très favorable comme Singapour, tandis que d’autres, comme la Chine, interdisent certaines activités liées aux cryptomonnaies tout en expérimentant avec des MNBC.
Je pense qu’un cadre mondial serait idéal pour que les entreprises puissent opérer en toute sécurité et pour protéger les utilisateurs, mais cela nécessiterait une coopération intense entre les grandes puissances économiques et des compromis. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est une régulation par patchwork, où chaque pays applique ses propres règles. Cela complique la vie des émetteurs de stablecoins comme nous, car nous devons constamment ajuster nos pratiques pour nous conformer aux différentes législations nationales ou régionales.
Cependant, à plus long terme, je crois que la pression exercée par l’adoption croissante des stablecoins et des cryptomonnaies, combinée à la nécessité d’encourager l’innovation tout en garantissant la protection des consommateurs, poussera les régulateurs à travailler ensemble de manière plus concertée. Un cadre mondial harmonisé pourrait prendre des années à se concrétiser, mais je crois que c'est la seule voie durable si nous voulons vraiment voir les cryptomonnaies s'imposer à grande échelle.
Vous acez mentionné plus tôt dans notre conversation que Tether travaillait avec 140 agences de régulation à travers plus de 40 pays. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce travail avec les autorités et ce que cela implique au quotidien pour une entreprise comme Tether ?
Absolument, et c’est l’une des choses dont nous sommes le plus fiers chez Tether. Depuis le tout début, nous avons pris la décision de collaborer de manière proactive avec les autorités, et cela bien avant que la majorité des régulations sur les cryptomonnaies n’existent. Aujourd’hui, nous avons une collaboration active avec des agences de régulation et des forces de l’ordre à travers le monde, ce qui est essentiel pour assurer la conformité et la sécurité de notre produit.
Au quotidien, cela signifie que nous avons une équipe dédiée qui travaille en permanence avec ces agences. Nous recevons régulièrement des demandes de la part des forces de l’ordre pour geler des comptes, aider à récupérer des fonds volés ou mener des enquêtes sur des activités suspectes. Cela peut aller des fraudes liées aux cryptomonnaies à des enquêtes sur le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme. Nous avons développé des outils sophistiqués, certains en interne, d'autres en partenariat avec des entreprises comme Chainalysis, pour surveiller les transactions sur la blockchain et repérer les comportements suspects.
Ce travail nous permet de répondre rapidement aux demandes des autorités et de geler des fonds lorsqu’une activité illicite est détectée. En fait, Tether est l’un des rares émetteurs de stablecoins à avoir mis en place des procédures aussi robustes pour travailler avec les forces de l’ordre. Cela nous permet de montrer que les stablecoins peuvent être utilisés de manière responsable et que, contrairement à certaines idées reçues, la crypto n’est pas un Far West anarchique où tout est permis.
Est-ce que cela signifie que Tether adopte une approche beaucoup plus proactive que d'autres acteurs de l'industrie pour répondre aux préoccupations des régulateurs et des forces de l’ordre ?
Oui, c’est exactement ça. Nous avons choisi d’adopter une approche très proactive parce que nous croyons que c’est la meilleure façon d’assurer la longévité et la viabilité de notre activité. Nous ne pouvons pas simplement attendre qu’une ordonnance de justice soit émise pour agir, comme le font certaines autres entreprises. Nous pensons qu'en collaborant étroitement avec les régulateurs et les forces de l’ordre, nous pouvons non seulement protéger nos utilisateurs, mais aussi contribuer à légitimer l’utilisation des cryptomonnaies dans le monde entier.
Cela peut sembler contre-intuitif pour certains dans l'écosystème crypto, qui sont attachés à l'idée d'une totale décentralisation et à une résistance aux régulations. Mais nous croyons fermement que pour que les stablecoins comme l'USDT atteignent leur plein potentiel et soient adoptés à grande échelle, il est crucial d'avoir une approche de coopération avec les autorités. Cela ne signifie pas que nous compromettons nos valeurs ou que nous trahissons l’esprit de la crypto, mais plutôt que nous faisons ce qui est nécessaire pour garantir la stabilité et la confiance dans notre produit.
Avez-vous un dernier message, en particulier ceux qui envisagent de se lancer dans le secteur des stablecoins ou de la blockchain en général ?
Je dirais que c’est un moment passionnant pour se lancer dans ce secteur. La blockchain et les stablecoins sont en train de transformer la manière dont nous concevons l’argent et les échanges financiers. Si vous êtes un entrepreneur ou un développeur, il y a d’innombrables opportunités dans cet espace. Mais ce que je dirais, c’est qu’il est essentiel de toujours garder à l’esprit l’importance de la transparence, de la conformité et de la responsabilité. Les entreprises qui prospéreront dans ce domaine seront celles qui sauront équilibrer l'innovation avec les impératifs réglementaires et la sécurité des utilisateurs.
Chez Tether, nous croyons fermement que les stablecoins vont changer la façon dont les gens interagissent avec l'argent. Si votre entreprise n'envisage pas encore d'utiliser des stablecoins, c'est probablement le bon moment pour commencer à y réfléchir. Le potentiel est immense et l’impact que cela peut avoir sur l’économie mondiale est révolutionnaire.