The Big Whale : Vous conseillez de nombreuses grandes entreprises. Quel est leur vision du Web3 ?
Stéphane Distinguin : Je constate, et c’est une excellente nouvelle, qu’elles n’ont pas toutes jeté le bébé avec l’eau du bain à cause des scandales comme Terra-Luna et FTX .
La plupart font la différence entre certaines arnaques et le sous-jacent technologique, blockchain et cryptomonnaies, qui n’est pas concerné. Il y a un intérêt encore réel autour des nouveaux modèles que ce nouvel Internet permet de créer.
Qu’est-ce qui plaît particulièrement aux entreprises ?
Je pense que c’est cette idée de décentralisation, ou plus précisément de déconcentration, avec un Internet qui n’appartiendrait pas seulement à quelques grandes plateformes.
Le Web3 porte une autre philosophie, d’autres valeurs et il y a encore tout à construire. Les entreprises ont conscience que c’est un nouvel espace à conquérir 🚀.
Auriez-vous des exemples précis ?
Il y a par exemple le modèle des DAO (organisation autonome décentralisée, ndlr) qui intrigue beaucoup. Cette nouvelle forme d’organisation, décentralisée, intéresse certains de nos clients dans la mesure où elle permet d’associer de nouvelles parties à la gestion d’un projet ou même d’une entreprise.
Les NFTs utilisés dans des outils de CRM suscitent également de l’intérêt. Je pense aussi que le Web3 a montré qu’il pouvait être un levier pour certaines entreprises au sujet de l’environnement avec des outils de traçabilité et de reporting plus transparents.
Est-ce que la question de la détention de cryptomonnaies reste un sujet d’actualité pour les entreprises ?
Ça l’a été, mais aujourd’hui c’est clairement moins le cas. Quand Elon Musk et Tesla ont fait leur annonce en 2021 (Tesla a mis des cryptomonnaies en trésorerie 💸), tout le monde en a beaucoup parlé.
À ce moment-là, c’était presque une faute de ne pas se poser la question, mais avec la brutale chute des marchés les choses ont changé. Vous pouvez être sûrs que lorsque les marchés remonteront, les entreprises se poseront de nouveau plus la question.
Beaucoup d’entreprises vous ont-elles sollicité sur le sujet ?
Je ne dirais pas que beaucoup d’entreprises sont venues vers nous à ce sujet, mais il y en a eu. Et je parle d’entreprises du CAC40.
Malgré sa réputation environnementale controversée, pensez-vous que le bitcoin a de l’avenir auprès des entreprises ?
Je pense qu’il a de l’avenir tout court, parce qu'il a des caractéristiques uniques comme le fait d'être en quantité limitée. Et une fois que vous avez compris cela, tout le monde a intérêt à s’en saisir.
Il n’est certes plus à 60.000 euros comme en novembre 2021, mais son cours n’est pas descendu beaucoup plus bas que 20.000 euros. Il faut quand même se rendre compte de ce que cela signifie, alors qu’à en écouter certains, tout s’est effondré.
Quels sont les secteurs qui vous semblent les plus mûrs pour adopter le Web3 ?
Je pense que les secteurs les plus mûrs sont l’art, le design et le luxe , c’est-à-dire des secteurs qui véhiculent de la valeur immatérielle et qui ont besoin d’authentification et de marchés secondaires.
J’espère aussi, mais là c’est vraiment un souhait personnel, que tout ce qui touche au développement durable pourra également s’en saisir. Je pense notamment à la tokénisation de certaines pratiques, et donc à l’usage valorisé, comme par exemple le fait de recycler ou de consigner les choses.
Considérez-vous que toutes les entreprises devraient s’intéresser au Web3 ?
Bien sûr, il n’y a aucun doute là-dessus, mais le défi du Web3 est vraiment celui de l’adoption. Et quand je parle d’adoption, je parle d’usage du quotidien. Beaucoup de gens ne savent pas encore utiliser un wallet et ne le sauront peut-être jamais…
C’était la même chose avec les ordinateurs ou les smartphones…
Oui, sauf que la vitesse d’évolution des technologies web3 est beaucoup plus importante, donc le temps de prise en main est plus réduit, ce qui complique l'adoption globale.
Comment faire alors ?
C’est un peu tout l’enjeu du secteur. Il va falloir massifier les usages du Web3 sans en perdre les avantages techniques, c’est-à-dire notamment la décentralisation et la sécurité.
Ce n’est pas simple à gérer. Nous payons des décennies de paresse pendant lesquelles nous ne nous sommes pas assez éduqués aux enjeux numériques. L’internet d’aujourd’hui est confortable, mais pas viable.
Est-ce que les grandes entreprises ont un rôle à jouer dans le développement du Web3 ?
J’ai connu une période bénie, au début des années 2000, au cours de laquelle les opérateurs mobiles finançaient beaucoup les start-up et l’innovation. Vingt ans après, je continue de penser que c’est aux grandes entreprises de financer ces start-up et l’innovation.
Prenez Nike, par exemple : ont-ils payé le bon prix lors de l’acquisition du studio RTFKT ? Je n’en suis pas sûr. En revanche, est-ce que Nike a fait une bonne opération ? J’en suis persuadé.
Pour moi les meilleures entreprises n’hésitent pas à tester tôt, quitte à payer cher, et elles savent en tirer profit. Et même si cela ne marche pas, ce côté précurseur fait partie de leur standing.
Constatez-vous encore de l’intérêt pour le métavers ?
Indépendamment des difficultés de Meta, les entreprises s’y intéressent toujours, et le nouveau casque de réalité virtuelle d’Apple en est le meilleur exemple.
Que ce soit Fortnite ou Roblox, les gamins d’aujourd’hui développent des pratiques et des usages qui vont avoir un impact considérable. Sauf que cela prend du temps.
Êtes-vous personnellement détenteur de cryptomonnaies ?
Oui, j’ai du bitcoin (BTC) et de l’ether (ETH), ainsi que du SOL et de l’AVAX. J’ai aussi quelques NFTs.
J’ai la chance de connaître personnellement quelques artistes numériques, comme Albertine Meunier, ce qui m’a poussé à m’y intéresser de près. Malheureusement, je n’ai pas de CryptoPunks même si j’aurais beaucoup aimé en avoir un ! J’ai aussi joué à Sorare avec mon fils. Je pense que c’est vraiment le futur des cartes à collectionner.