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Fiscalité, ETF, grands groupes : plongée au coeur de l’écosystème crypto japonais

Fiscalité, ETF, grands groupes : plongée au coeur de l’écosystème crypto japonais

Fiscalité, ETF, grands groupes : plongée au coeur de l’écosystème crypto japonaisFiscalité, ETF, grands groupes : plongée au coeur de l’écosystème crypto japonais

Après avoir été l’un des premiers pays à s’intéresser aux cryptos, le Japon a perdu du terrain ces dernières années, notamment à cause d’une régulation particulièrement stricte. Soutenus par le gouvernement, plusieurs grands groupes comme Sony veulent relancer la dynamique. Reportage sur place.

Aller à Tokyo pour découvrir l’écosystème crypto est une expérience assez unique.

Je dis "assez unique" parce que cela s’apparente un peu à un retour aux sources et pas seulement parce que le créateur du bitcoin - dont on ne connaît pas la vraie identité - s’appelle "Satoshi Nakamoto".

Beaucoup de gens l’ont oublié, mais le Japon a fait partie des premiers pays où s’est développé le bitcoin et surtout MtGox, qui est LA première grande plateforme d’échange de crypto de l’Histoire.

Entre 2010 et 2014, la plateforme dirigée par le Français Mark Karpelès a été un acteur incontournable dans l'adoption du bitcoin (à l'époque il n'y avait pas encore d'autres cryptos) avec une position - jusqu’à 70% du marché mondial, qu’aucun autre acteur n’a jamais atteint par la suite.

Si beaucoup ont oublié la croissance fulgurante de MtGox et la folie qui s’est emparée à l’époque de Tokyo, tout le monde se souvient en revanche de sa triste fin et de ses conséquences.

En 2014, la plateforme a fait brutalement faillite à cause d’un hack - ce n’était pas le premier. Au total, ce sont environ 850.000 bitcoin qui ont été dérobés (200.000 seront retrouvés). A leur valeur actuelle, on parle de presque 40 milliards de dollars 🤯. A titre de comparaison, FTX a provoqué des pertes de 15 milliards de dollars.

Après plusieurs années de procédure, Mark Karpelès, qui a passé 12 mois en prison au Japon (2015-2016), a été condamné en 2019 à de la prison avec sursis.

Au même moment, et pour éviter qu’un tel scandale ne se reproduise, le gouvernement japonais fait adopter toute une série de lois pour encadrer le secteur crypto ; au passage, c’est exactement ce qu’il se passe aux Etats-Unis depuis 18 mois et le scandale de FTX.

Cette réglementation concerne toute l’industrie :

  • les plateformes d’échange japonaises sont désormais régulées.
  • il faut obtenir une licence pour faire de la conservation de cryptomonnaies.
  • les émissions et le listing des tokens et cryptos sont soumises à l’approbation de l’Autorité des services financiers japonaise (FSA).

L’adoption de cette nouvelle réglementation referme la première page de l’industrie crypto 🇯🇵 et est déterminante pour la nouvelle qui est en train de s’écrire.

Le Japon est un petit marché retail

Est-ce l'effet MtGox ? Ce qui est sûr, c'est que plusieurs années après la faillite de la plateforme, l'intérêt des Japonais pour les cryptos n'est pas total, et ce même en dépit de la forte hausse des cours (le prix du bitcoin a été multiplié par plus de 200 depuis 2014) et du développement de nombreuses plateformes ; le pays en compte aujourd’hui une trentaine ; elles sont évidemment toutes régulées.

"La faillite de MtGox a laissé une trace importante", confirme Justin Dhingra, qui est le directeur stratégique de Crypto Garage, une société qui dispose notamment d'un Exchange dédié aux entreprises.

Justin Dhingra (au centre) est le directeur stratégique de Crypto Garage.

Mais de l'avis de tous, au-delà de cet effet psychologique indéniable, c'est surtout la fiscalité et la réglementation misent en place à partir de 2019 qui ont un réel impact.

  • D'abord la fiscalité :

Depuis 2019, les gains liés aux cryptomonnaies ne sont pas taxés sur le modèle de celui des titres financiers (actions), c'est-à-dire à un taux fixe comme dans la plupart des pays ; en France, il y a par exemple une flat tax de 30 % sur les gains en crypto — à partir de 305 euros de gains sur l'année.

Pour un Japonais, le niveau d'imposition sur les gains en crypto dépend de ses revenus annuels. Plus ses revenus sont élevés et plus son niveau d'imposition sur les gains en crypto va augmenter selon un barème allant de 5% à 45%.

Il faut en plus ajouter à cette fiscalité une "taxe d'habitation" de 10 %, ce qui peut faire monter le taux marginal jusqu'à 55 %. À noter toutefois que la tranche à 55 % ne concerne que les revenus supérieurs à 250 000 euros par an, ce qui laisse quand même un peu de marge !

En attendant, le sujet de la fiscalité ne cesse de monter au Japon à mesure que le nombre de détenteurs grandit (même lentement). Selon les estimations, il y aurait entre 7% et 10% de la population japonaise qui détient des cryptos.

Sur la base d'une proposition de la FSA, le gouvernement prévoit ainsi une réforme fiscale en 2025 qui pourrait permettre de taxer tous les bénéfices liés aux crypto à 20 %.

“Cela donnerait clairement de la visibilité aux investisseurs qui ont trop de mal à savoir exactement quel sera leur niveau d'imposition”, explique Fujihara Masamichi, membre de l'équipe recherche de la plateforme d'échange Bitpoint, qui fait partie des principales plateformes d'échange au Japon (Top 10).

Fujihara Masamichi (à droite) est membre de l'équipe recherche de la plateforme d'échange Bitpoint.
  • Puis la réglementation :

Depuis 2019, "pour protéger les investisseurs", il faut que chaque cryptomonnaie et token soit validé par l’Autorité des services financiers japonaise (FSA) pour être listé sur une plateforme d'échange japonaise.

Le problème, c'est que cette procédure peut prendre jusqu'à six mois, donc les nouveaux jetons mettent beaucoup de temps à arriver sur les plateformes comme Bitflyer ou Bitpoint ce qui finit par refroidir les clients.

"Si vous mettez 3 mois pour lister un token, vous pouvez être sûr que vous arriverez après la bataille", explique-t-on du côté de Bitpoint.

En plus de cette contrainte sur le listing des tokens et cryptomonnaies, les produits à effet de levier sont quasi inexistants. Ils sont limités à un multiple de 2, alors que la plupart des pays voisins permettent d'atteindre des multiples de 150, comme c’est le cas en Corée du Sud. "C'est beaucoup plus de sécurité, mais à quel prix ?", s'interroge un trader japonais. "Il peut y avoir un juste milieu", ajoute-t-il.

Résultat dix ans après la chute de MtGox, le plus gros Exchange japonais, Bitflyer, se situe “seulement” à la 50e place mondiale en termes de volume, très loin derrière des acteurs comme l’américain Coinbase ou le sud-coréen Upbit.

Un marché pour les entreprises ?

Paradoxalement, c'est davantage du côté des entreprises "plus traditionnelles" que les choses avancent.

L'impulsion a été donnée en 2022 par l'actuel Premier ministre, Fumio Kishida (droite conservatrice), qui, à l'image d'autres dirigeants, veut faire de son pays un leader dans l'univers crypto.

On se souvient ainsi de l'ancien ministre des Finances français, Bruno Le Maire, qui a expliqué en 2022 à BFM Crypto vouloir faire de la France "le camp de base des cryptos et de la finance décentralisée".

Le message du dirigeant japonais a en tout cas été bien reçu par les grands groupes nippons. En dépit de la baisse des marchés en 2023, les entreprises japonaises, qui ont bénéficié cette année de la suppression de la taxation des plus-values latentes sur les cryptos (un dispositif qui faisait hurler tout le secteur depuis des années), ont investi des milliards de dollars dans le secteur.

"Il y a eu une vraie impulsion avec le lancement de projets qui sont sérieux", confirme Keisuke Kimura, qui s'occupe des relations internationales au sein de la Japan Cryptoasset Business Association (JCBA), l'un des principaux lobbys crypto du secteur au Japon.

L'association compte 150 membres parmi lesquels l'application de messagerie Line, le géant du jeu Konami ou les cabinets de conseil KPMG et Deloitte. Fait intéressant, il y a peu de start-up crypto au Japon, tout comme en Corée du Sud, parce que beaucoup de l'innovation passe directement par les grands groupes et leur système d'intrapreneuriat très développé.

Sony, Rakuten et d'autres grands groupes financiers japonais (MUFG, SMBC, Mizuho…) ont été les fers de lance de cette stratégie. Après plus d'un an de développement, le fabricant de la PlayStation a annoncé il y a quelques semaines le lancement de Soneium, un layer 2 (protocole de seconde couche).

Développé en partenariat avec Startale Labs sur la blockchain Ethereum, Soneium doit permettre à Sony d'explorer de "nouveaux mécanismes de création et de partage de la valeur dans l'univers du gaming et de la finance". L'Américain Circle, qui est l'émetteur du stablecoin USDC (2e plus important de la planète) est partenaire de Sony pour le développement de Soneium.

De son côté, Rakuten, qui est considéré comme le "Amazon japonais" ne cesse de multiplier les chantiers. La société basée à Tokyo dispose d'une plateforme de tokenisation des actifs et accepte les paiements en cryptomonnaies. Interrogé, Rakuten n'a pas souhaité communiquer sur les volumes des paiements en cryptomonnaies.

Le terrain de jeu des banques est davantage celui des stablecoins, même si, là aussi, la réglementation est particulièrement stricte.

Stablecoin : la carte des banques

Alors que la réglementation européenne MiCA prévoit que les émetteurs de stablecoins doivent constituer une réserve en cash allant de 30 % à 60 % de la capitalisation du stablecoin — ce que beaucoup, comme Tether, dénoncent (lire notre interview) —, la réserve est de 100 % au Japon et déposée dans une banque qui dispose d'une licence dédiée à cet effet.

En plus de cela, les fonds ne peuvent évidemment pas être utilisés par l'émetteur du stablecoin pour générer du rendement. "Cela pose un vrai problème en termes de business model", souligne le membre d'un fonds basé à Tokyo.

C'est notamment à cause de cette contrainte "économique" qu'il n'y a aujourd'hui aucun stablecoin disponible au Japon, à l'exception du DAI de Sky (ex-Maker) qui n'est pas considéré comme un stablecoin par le régulateur, mais comme une cryptomonnaie, car indexé sur des cryptomonnaies et non sur des monnaies fiat.

Pour réussir à s'installer, les principaux acteurs du secteur, comme Circle, ont signé des partenariats avec des acteurs locaux (Circle travaille avec Coincheck), en espérant que les choses vont avancer.

En attendant, les principales banques du pays — MUFG, SMBC, Mizuho — avancent, elles, sur un projet de stablecoin commun, et sans avoir les mêmes contraintes de rentabilité.

"Pour les banques, un stablecoin est davantage un moyen de garder des clients dans leur univers que de trouver de nouvelles lignes de revenus", souffle un acteur crypto, qui souligne les tensions qui peuvent exister entre l'univers crypto et la finance plus traditionnelle.

La question brûlante des ETF

Le sujet qui résume peut-être le mieux les tensions qui peuvent exister entre la finance traditionnelle et les acteurs crypto est celui des ETF Bitcoin Spot (soutenus par de vrais bitcoins et non par des produits de synthèse).

Depuis le lancement des ETF Spot aux États-Unis, avec des volumes records collectés par BlackRock et d'autres géants, plusieurs voisins du Japon ont avancé leurs pions.

C'est évidemment le cas de Hong Kong qui dispose depuis le printemps de ses propres ETF Bitcoin et Ethereum Spot — les volumes restent toutefois modestes (300 millions de dollars) par rapport à ceux constatés aux États-Unis (plus de 30 milliards de dollars).

Le régulateur sud-coréen pourrait lui aussi bientôt valider les ETF Bitcoin Spot.

Mais au Japon, les choses n'avancent pas parce que les banques et les plateformes d'échange ne tirent pas dans le même sens. Tandis que les banques et les fonds poussent pour le lancement d'ETF Bitcoin Spot, les plateformes sont, elles, plutôt opposées à un tel projet parce qu'elles ont peur de perdre encore un peu plus de clients qui ne passeraient plus par elles.

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