Derrière cette question ne se cachent pas les lubies d’un théoricien fanatique de vérité juridique mais les réflexions bien concrètes de l’association LBCA (Legal Blockchain & Crypto Association), menées par un petit groupe de professionnels du droit, qui ont tous été confrontés dans le cadre de leur profession à ce besoin de qualifier juridiquement le staking . Les résultats détaillés de ces travaux peuvent être consultés sur le site de l’association : https://lbca.io/rapport-staking/
L’exercice n’est pas anodin et l’enjeu est de taille car, si le Règlement MiCA a pour l’instant exclu la finance décentralisée (DeFi) et le minage, et donc par certains égards le staking, de son champ d’application, comprendre à quoi l’on s’expose lorsqu’on participe au processus de staking est l’affaire de tout utilisateur de blockchains.
D’autant plus que l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a récemment publié un document qui va dans le sens de l’assimilation du staking à une activité régulée par MiCA. Le rapport du groupe de travail de LBCA vient nuancer cette approche en effectuant une analyse approfondie des mécanismes de staking selon plusieurs modalités et sur plusieurs blockchains qui conclut qu’il n’y a pas nécessairement de conservation de crypto-actifs dans tous les cas.
Mais tout d’abord, que recouvre la notion de staking ?
Bien que les modalités diffèrent d’une blockchain à l’autre, on peut résumer le concept comme l’immobilisation d’une certaine quantité de crypto-actifs afin de participer à la validation des transactions sur une blockchain.
Ce processus de validation est désigné “preuve d’enjeu” (proof of stake) et la participation à ce processus est désignée “staking”. Les validateurs qui auront immobilisé une quantité suffisante de crypto-actifs pourront être sélectionnés pour participer au processus et recevoir une récompense sous la forme de crypto-actifs (de même nature que ceux immobilisés) ; ils peuvent également être sanctionnés et perdre tout ou partie des crypto-actifs immobilisés (slashing) s’ils font défaut.
La validation par preuve d’enjeu étant de plus en plus répandue, les membres du groupe de travail de la LBCA se sont concentrés sur trois protocoles représentatifs de l’écosystème, à savoir Ethereum , Tezos et Avalanche .
Sur ces trois protocoles différentes formes de staking existent et encore faut il savoir ce que l’on souhaite analyser. En particulier, le staking peut s’effectuer de manière directe (ex. : une personne détient 32 ETH, soit le seuil nécessaire au staking sur Ethereum , et les immobilise pour devenir validateur sur la blockchain Ethereum) ou, plus communément, de manière indirecte (ex. : plusieurs personnes mettent en commun leurs ETH pour atteindre le seuil de 32 ETH et les confient à un tiers validateur).
Dans le cadre du staking direct, le validateur s’engage envers le réseau à valider les transactions au moyen des crypto-actifs qu’il possède. Selon le groupe de travail, la relation entre le validateur et la blockchain s’apparente à une forme de contrat sui generis.
Il est donc plus utile d’approfondir le sujet du staking indirect. Le staking indirect consiste pour n’importe quel détenteur de crypto-actifs natifs d’une blockchain à déléguer ou transférer ces actifs à un validateur qui réalisera l’activité de staking sur le réseau et reversera la quote-part correspondante des récompenses au délégateur.
Pour le validateur, l’intérêt du staking indirect est de disposer de davantage de crypto-actifs mis en garantie auprès du protocole de manière à augmenter ses chances d’être sélectionné par l’algorithme pour valider des transactions et donc toucher des récompenses.
Pour le délégateur, ceci lui permet de toucher des récompenses liées à l’activité de staking même s’il n’a pas la quantité de crypto-actifs minimum à déposer en garantie initiale pour pouvoir être valideur ou bien s’il n’a pas les compétences techniques pour réaliser le staking.
En fonction des blockchains, le staking indirect peut être réalisé par l’intermédiaire de prestataires de services sur actifs numériques (PSAN et bientôt PSCA), de protocoles de finance décentralisée (DeFi) ou bien directement auprès d’un validateur personne physique ou morale.
Même le profane relèvera qu’il est question d’une part de participer au fonctionnement d’un protocole informatique (une blockchain) et d’autre part, dans l’idéal, de générer un revenu. On peut alors tout d’abord se demander si le staking est une activité technologique ou financière.
D’un côté, le staking pourrait s’apparenter à l’immobilisation d’une somme en capital afin d’espérer un rendement, de la même manière que pour l’investissement dans un produit financier. La généralisation du staking indirect sur les plateformes d’échange centralisées plaide en ce sens dans la mesure où les détenteurs de crypto-actifs ne participent pas eux-mêmes au réseau de validation et participent au staking dans un objectif de rendement.
D’un autre côté, le staking s’apparente à une activité technologique consistant à assurer la maintenance d’un registre distribué non centralisé. Les récompenses du staking viendraient alors rémunérer, non pas un capital investi que l’on ferait fructifier, mais bien la fourniture d’une prestation technique de maintenance de la blockchain.
Ce sont ces deux conceptions qui ont guidé le groupe de travail dans son analyse et lui ont permis d’identifier quatre qualifications plausibles en droit civil français.
Tout d’abord le contrat de louage de choses. Sur la blockchain Tezos par exemple, les délégateurs qui souhaitent participer à la validation des blocs doivent déléguer, ou mettre à disposition, des XTZ à l’adresse de délégation du validateur sur la blockchain Tezos qui seront bloqués pendant 21 jours. Selon cette qualification la récompense versée par le validateur aux délégateurs serait qualifiée de loyer. Cette location ne comporte en revanche pas de transfert de propriété et ne confère pas au validateur le pouvoir de disposer des XTZ délégués.Le contrat d’entreprise (également dénommé louage de services) assorti d’un contrat de dépôt accessoire. Sur la blockchain Ethereum par exemple, on peut considérer que le délégateur loue les services du validateur afin que ce dernier procède au staking des ETH transférés. Il est en effet admissible que le propriétaire des ETH attende avant tout du validateur qu’il réalise un travail, une entreprise de staking, participant ainsi au bon fonctionnement du réseau Ethereum. L’accessoire étant le dépôt de ses ETH par le délégateur au validateur. Les parties peuvent alors convenir du partage des profits réalisés par l’entrepreneur grâce à la chose déposée, ainsi que du partage de certains risques notamment de slashing.La différence principale entre ces deux formes de louage (de choses et de services) est que la première considère le staking du point de vue du validateur (qui loue des crypto-actifs à des tiers pour atteindre un objectif propre), tandis que la seconde le considère du point de vue des délégateurs (qui louent les services d’un validateur pour atteindre un objectif commun).
Le prêt d’usage. Il est en effet également concevable que les utilisateurs d’une blockchain ****prêtent temporairement leurs crypto-actifs à un validateur afin de faciliter la validation des transactions sur la blockchain, charge au validateur de les restituer à l’identique au terme convenu. Cette qualification peut convenir au protocole Tezos dans lequel les délégateurs sont garantis de se voir restituer l’intégralité de ses XTZ délégués, même en cas de slashing.Le dépôt. Sur la blockchain Avalanche par exemple, à l’instar d’un dépôt de fonds auprès d’une banque qui, lors d’un retrait par le client, restitue des valeurs d’un montant identique, le staking indirect n’implique pas que le validateur rende les mêmes jetons AVAX que ceux qui avaient été déposés initialement par l’utilisateur, ces actifs étant par nature fongibles.Au-delà de ces quatre qualifications possibles d’autres, tel que le prêt de consommation, le mandat ou le crédit affecté, ont été explorées par la LBCA qui les a finalement écartées.
On notera en ce qui concerne le staking liquide (liquid staking) que la qualification juridique la plus appropriée semble être le contrat d’échange. En effet, sur la blockchain Avalanche par exemple, en échange d’un dépôt d’AVAX l’utilisateur reçoit un jeton appelé « Liquid Staking Token » (LST) qui constituera la preuve de détention des AVAX déposés en staking, ainsi que les récompenses de staking obtenues grâce à ce dépôt.
Le groupe de travail s’est ensuite penchée sur les qualifications règlementaires du staking.
Il a tout d’abord conclu à la qualification naturelle des jetons utilisés aux fins de staking en actifs numériques au sens du droit français et en crypto-actifs au sens du Règlement MiCA. Dans le cadre du liquid staking les LST émis pourraient éventuellement être qualifiés de « jetons référencés à un ou des actifs » (Asset Referenced Tokens ou ART), bien que l’esprit du texte de MiCA vise plutôt à inclure dans les ART les stablecoins adossés à des actifs dits traditionnels.
Quant aux services fournis par les validateurs, il est tout d’abord relevé que l’activité de staking indirect entraine souvent la fourniture du service de conservation, tant sur les crypto-actifs mis en garantie par les délégateurs que sur ceux reçus en récompense par le validateur. Cette qualification n’est toutefois pas systématique et dépend des modalités de fonctionnement du staking sur chaque blockchain.
Ensuite, le groupe de travail relève que le nouveau service de transfert de crypto-actifs issu du Règlement MiCA pourrait s’appliquer au staking compte tenu de sa définition très large. Toutefois, le considérant 93 de MiCA exclut expressément le staking du champ d’un tel service en précisant que les validateurs, nœuds ou mineurs impliqués dans la confirmation des transactions et la mise à jour de l’état de la technologie des registres distribués sous-jacente ne fournissent pas un service de transfert de crypto-actifs.
Le staking semble donc globalement exclut des régimes règlementaires français et européens existants. La question peut donc se poser de l’opportunité de créer une règlementation spécifique au staking. Les règlementations naissent généralement du besoin de la société d’encadrer des risques et le staking n’en est pas exempt : slashing, vol ou perte du capital ou de la récompense, non versement de la récompense par le validateur, absence de restitution des crypto-actifs sous-jacents ou perte d’ancrage au sous-jacent (depeg) dans le staking liquide, etc.
La LBCA note toutefois qu’une partie non négligeable des activités de staking indirect est déjà soumise de facto à la règlementation relative à la conservation d’actifs numériques, qu’elle soit nationale ou, demain, européenne.
Les opérations de staking via la DeFi y échappent quant à elles largement, mais d’aucuns argumenteront que les délégateurs sont libres de choisir s’ils préfèrent participer au staking par le biais d’intermédiaires règlementés (ex. PSAN) ou au travers de protocoles décentralisés et donc non-règlementés.
Dans tous les cas de staking indirect, il n’est pas évident qu’une règlementation de type financier soit nécessaire. En effet, l’analyse des trois blockchains Ethereum, Tezos et Avalanche tend à montrer que l’activité de staking en elle-même est davantage une activité de nature technologique que financière. En revanche la formalisation des relations entre le validateur et le délégateur, ainsi que l’accroissement des obligations de transparence et d’information sur les performances passées du validateur et sur les risques liés à chaque blockchain seraient souhaitables.
En conclusion, si le staking direct peut être qualifié de contrat sui generis, les activités de staking indirect relèvent de plusieurs qualifications juridiques possibles (contrat de location, contrat d’entreprise assorti d’un contrat de dépôt accessoire, prêt à usage, dépôt). Le liquid staking pouvant quant à lui s’apparenter à un contrat d’échange. Ces activités ne sont pas aujourd’hui appréhendées directement par la règlementation (bien que le service de conservation soit souvent fourni accessoirement dans le cadre du staking indirect). Est-ce que cela signifie qu’il serait opportun de créer un cadre règlementaire à cette activité, notamment à l’aune des risques identifiés ? La LBCA ne le pense pas à ce jour tant l’occurrence des risques identifiés parait faible et souvent largement déjà appréhendée dans le cadre du staking indirect proposé par les acteurs de la finance centralisé (ex. PSAN et bientôt PSCA).
*LBCA : Arnaud Grünthaler, Avocat associé, Forvis Mazars, Stéphanie Cabossioras, Secrétaire générale, Société Générale-FORGE, Emilien Bernard Alzias, Avocat associé, Simmons & Simmons LLP, Hugo Bordet, Juriste, Kramer Levin et Annabelle Bernal, Directrice Juridique, Société Générale-FORGE